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FATE, cékoidon? (1e partie)

FATE couvertureSi vous lisez l’anglais, que vous vous intéressez aux différents systèmes de jeu ou si vous aimez les jeux en VO comme Dresden Files, Legends of Anglerre ou Spirit of the Century, vous savez certainement ce qu’est le système FATE. Cet article s’adresse aux autres, ceux qui n’y ont jamais jeté un œil ou qui en ont entendu parler sans trop savoir ce que c’est. FATE est ma révélation ludique de l’été (quand vous ne jouez pas pendant deux mois vous avez l’occasion de rattraper votre retard de lectures) qui de surcroit a reçu le ENnie Award du meilleur jeu. Voici donc une présentation de ce petit bijou qu’il convient d’apprivoiser avant de se lancer.

Partie 2Partie 3

Un peu d’histoire

FATE est le descendant du système Fudge dont il a gardé l’échelle de notation et les dés spéciaux. Fudge était une boîte à outil permettant de créer son propre système et ainsi obtenir des règles spécifiques à l’univers que l’on a en tête. FATE garde le même esprit, même s’il est possible de jouer avec les règles proposées et de ne pas bidouiller plus que ça.

FATE DiceLe premier élément hérité de Fudge est l’échelle de notation. Cette dernière va de Terrible (-2) à Legendary (+8). Elle permet de noter à la fois le niveau d’une compétence, un degré de difficulté ou la qualité d’une action. Elle est au cœur du jeu. L’autre élément ce sont les dés spéciaux, les FATE Dice: ces dés à six faces comportent deux faces +, deux faces et deux faces blanches. On en lance toujours 4 et on comptabilise le score en sachant qu’un – annule un + et que les faces blanches ne comptent pas. On obtient ainsi un résultat de -4 (4 faces -) à +4 (4 faces +). Notons que le jeu propose différentes manières d’utiliser des dés classiques pour obtenir plus ou moins les mêmes probabilités. Un jeu de cartes est également disponible.

Les compétences

Un personnage de FATE ne possède pas de caractéristiques générales telles que Force, Habileté, Intelligence ou Vigueur. Il a par contre des compétences qui définissent ce qu’il sait faire. Ces compétences possèdent un score établi sur l’échelle de notation. À la création du personnage, il possède des compétences allant de +1 (Average) à +4 (Great). Le score d’une compétence est ajouté au résultat des dés pour déterminer le résultat d’une action. La somme est comparée à la difficulté (elle aussi évaluée sur l’échelle). On peut ainsi obtenir un échec, une parité, un succès ou un succès avec la classe (success with style). L’échec et le succès sont clairs. Une parité indique que le personnage réussit mais avec un coût léger: soit il n’obtient qu’une partie de ce qu’il souhaitait, soit il subit un désavantage pour la suite (pensez au personnage qui bondit d’un toit et qui se retrouve accroché à la corniche). Un succès avec la classe vous donne un bonus supplémentaire dans la suite de la scène.

Les prouesses

Les stunts sont des capacités hors norme des personnages qui permettent de briser un peu les règles. Elles sont souvent uniques et permettent ainsi de différencier deux personnages qui auraient le même score dans une compétence. Par exemple, une prouesse nommée « attaque sournoise » permettrait d’utiliser la compétence discrétion en lieu et place de combat pour attaquer un adversaire. Avec « riposte », un personnage pourrait infliger des dommages en cas de succès lors d’une défense. Certaines prouesses sont gratuites, d’autres nécessitent la dépense d’un point de destin pour être utilisées.

Les aspects

D’autres jeux utilisent le concept d’aspect (on pense à Cheap Tales), certains l’ont même sans doute fait avant FATE. Mais c’est bien le système FATE qui leur a donné leurs lettres de noblesse en poussant le concept le plus loin. Les aspects sont des mots-clefs ou de courtes phrases qui caractérisent un personne, un objet, un lieu ou quoi que ce soit d’autre. Grâce aux points de destin (FATE points), un joueur peut invoquer un aspect qui correspond à l’action qu’il tente et ainsi obtenir un bonus. On imagine aisément un personnage avec l’aspect « casse-cou » utiliser son bonus pour réaliser une acrobatie dangereuse par exemple. Les aspect peuvent aussi aller à l’encontre des actions du personnage. S’il accepte la pénalité, le joueur récupère un point de destin (pensez au personnage « costaud » qui doit ramper dans un conduit d’aération).

Les aspects peuvent aussi caractériser un objet. Pensez à un fusil « précis » ou à une voiture qui « colle à la route ». Ces aspect peuvent aussi être invoqués par le joueur pour obtenir un bonus. On peut aussi donner des aspects à des lieux et imaginer un champ de bataille « envahi par la brume » ou un entrepôt « en feu ». Certains aspects sont donc permanents et d’autre temporaires. Si ont éteint l’incendie, l’aspect « en feu » de l’entrepôt disparaît.

Un bon aspect raconte quelque chose sur le personnage ou l’univers. Un aspect « disciple de l’école du Tigre Blanc » indique que dans l’univers du jeu, il existe des écoles, dont une du Tigre Blanc et qu’elles ont des disciples. On peut à partir de là développer un élément de l’univers. Est-ce que ce sont des écoles de kung-fu, de magie ?

Les points de destin

L’économie des points de destin est au centre de FATE. Les joueurs les dépensent pour invoquer leurs aspects, utiliser certaines de leurs prouesses ou déclarer quelque chose à propos de la fiction. Ils en récupèrent en acceptant des pénalités proposées par le MJ ou d’autres joueurs ou en se rendant lors d’un conflit. Les points de destin sont représentés par des jetons qui s’échangent entre les joueurs et le MJ. Il est important que chacun soit prêt à en dépenser et à accepter les problèmes pour en récupérer. Les points de destin ne sont pas ici une réserve précieuse qu’on garde en réserve au cas où mais bien un outil indispensable pour trouver la saveur de FATE. Les joueurs sont donc encouragés à se foutre eux-même dans la merde pour gagner des points de destin qui leur permettront de briller plus tard.

Plus haut, j’ai indiqué que les joueurs pouvaient dépenser un point de destin pour déclarer quelque chose à propos de la fiction. On touche ici à l’autorité narrative partagée, puisque le joueur peut ainsi influer sur un détail de la fiction qui est normalement l’apanage du MJ. La déclaration doit être liée à un aspect. Une fois acceptée, elle devient une vérité. Avec un aspect « file toujours entre les mailles du filet », un joueur pourrait déclarer, alors que le groupe est coincé dans une impasse: « Oh, regardez, ce soupirail est ouvert, on pourrait s’y glisser pour fuir ». La déclaration est tout à fait légitime, tout le monde semble d’accord, et le soupirail existe donc bien…

Passer à l’action

FATE feuille de persoIl existe quatre types d’actions à FATE. Certaines peuvent être réalisées avec toutes les compétences et d’autres pas. L’action overcome permet de dépasser un obstacle. C’est finalement une action classique dans tous les jdr: vous voulez faire une action, quelque chose s’oppose à vous, vous devez passer au delà: grimper une falaise, forcer une porte, réparer une voiture, etc.

L’attaque et la défense sont deux autres types d’action qu’on rencontre dans tous les jeux. Une attaque n’est pas toujours physique ceci dit. Cracher un lot d’insultes à un adversaire est aussi une attaque. Les défenses permettent d’éviter ou de contrer une agression, qu’il s’agisse d’une attaque ou du dernier type d’action: créer un avantage.

Créer un avantage est le dernier type d’action, sans doute moins évidente à comprendre au premier abord. Il s’agit en fait de créer un nouvel aspect ou de tirer un avantage d’un aspect existant. Si vous réussissez, l’aspect est créé et vous pouvez l’invoquer une fois gratuitement. On peut penser au guerrier qui lance du sable dans les yeux de son adversaire, par exemple. Créer un avantage peut rappeler un peu les préparations du système Métal puisqu’il est possible d’utiliser l’action longtemps à l’avance: « je fais des recherches en bibliothèque sur les lutins du bois aux roches pour découvrir leur point faible ». Le personnage crée ainsi l’aspect « je connais un point faible des lutins » et peut l’invoquer gratuitement lorsqu’il rencontrera les dits lutins.

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Voici donc un premier aperçu de FATE. La prochaine fois nous verrons comment le jeu gère les oppositions et les conflits, la vie, les blessures et la morts et les « extras » qui donnent sa modularité au système, exemples à l’appui…

Si vous utilisez FATE, n’hésitez pas à commenter pour combler les vides que j’aurais laissé…


Romance érotique

Romance érotiqueNon, l’art de la table ne vient pas de passer un accord de partenariat avec les productions Marc Dorcel. Rassurez-vous. Romance érotique est bel et bien un jeu vendu dans votre boutique de jeu de rôle préférée. Vous avez peut-être remarqué sa couverture toute en fuchsia en vous demandant  ce que ce livret de 32 pages pouvait bien cacher sous ce titre racoleur. Grâce à l’art de la table, vous n’aurez plus à rougir de honte devant votre vendeur, vous allez tout savoir sur cette production des Écuries d’Augias, par ailleurs éditeurs de Crimes ou Aventures dans le Monde Intérieur (sans jeu de mot…).

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– Parental advisory: explicit content –

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Est-ce un jeu de rôle?

Tout comme dans notre récente critique de Fiasco, la question mérite d’être posée. Et si ce dernier était déjà à la limite du jeu de rôle tel qu’on l’entend généralement, Romance érotique franchit allégrement la frontière et ne garde que quelques éléments du jdr classique.

En effet, si chaque joueur y interprète un personnage fictif au cours de scènes de roleplay, c’est bien là la seule chose qui pourrait justifier le qualificatif de jeu de rôle. Le fait qu’il n’y ait pas de MJ n’est pas en soi un critère d’exclusion, mais que le jeu se limite à deux joueurs, que le type de scène soit scripté, et que le but du scénario soit le même à chaque partie sont pour moi des éléments qui font de Romance érotique un jeu narratif, mais trop éloigné du jeu de rôle pour le considérer comme tel. Le type de joueurs est lui-même limité, puisqu’à la fin de la partie, les protagonistes quittent le jeu pour s’adonner à une autre activité, certes elle aussi ludique, mais clairement hors du contexte de ce blog…  Ceci dit, comme je l’ai déjà mentionné dans l’article sur Fiasco, ceci est affaire de sensibilité, et chacun place la limite du jeu de rôle où bon lui semble.

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Comment ça marche?

Dans Romance érotique, deux joueurs vont jouer la rencontre, le premier rendez-vous et le premier moment intime de deux personnages, futurs amants. Le but avoué étant de terminer sous les draps après que les échanges en roleplay des personnages et en actes des joueurs ont fait monter la tension.

Il y a d’abord une phase de préparation pendant laquelle les deux joueurs vont établir le contexte de la séduction. Deux étudiants à Paris en 2012, une bergère et un troubadour au Moyen-Âge, une vampire et un écrivain, de nouveaux collègues, des néandertaliens en quête de feu, etc. Bref, tout ce que leur imagination leur dictera et qu’ils seront prêts à accepter comme fantasme. Une fois le contexte choisi, chacun donnera quelques détails pour étoffer son personnage.

Chaque joueur va ensuite déterminer ses capacités dans trois manières de séduire: sensualité, profondeur et empathie. La première est la séduction par le corps et les gestes ; la deuxième est la séduction intellectuelle: en connaître un bout sur un sujet, faire montre de culture ; la troisième est la séduction par le relationnel: galanterie, attention aux problèmes de l’autre et du monde extérieur. Aider une vieille dame à traverser la rue devant les yeux de sa bien-aimée est une tentative de séduction par l’empathie, par exemple. Chaque joueur choisit quelle capacité est en éveil (il est doué), en sommeil (un talent moyen) et en berne (une faiblesse).

Reste à préparer, pour chaque étape de la séduction (la rencontre, le premier rendez-vous, le premier moment intime) une liste de gages qui coûteront de 1 à 4 points d’érotisme. Les joueurs se mettent d’accord sur les gages. Quelques règles sont à respecter: lors des deux premiers actes,  les baisers sur la bouche sont prohibés. Des exemples de gages sont proposés pour ceux qui manqueraient d’inspiration.

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Jouer les scènes

La partie peut ensuite véritablement commencer. Le premier acte permet de jouer la rencontre des futurs amants. Pour cet acte, les joueurs restent habillés. Chacun indique, à l’aide de 3 rubans de couleur qu’il noue au corps de l’autre joueur, ses talents de séduction (empathie, sensualité et profondeur) et leur importance pour son personnage. Le but de chaque joueur est de réussir une tentative de séduction en utilisant chacun des talents. A chaque tentative réussie, il pourra dénouer le ruban correspondant. Lorsque tous les rubans sont dénoués, l’acte se termine et on passe au suivant.

Les scène sont du pur roleplay: le joueur metteur en scène propose un contexte et entame la conversation, en tentant de séduire son partenaire. Lorsque la scène est terminée, le joueur ciblé par la tentative de séduction détermine quel talent a été utilisé et combien de points d’érotisme sont nécessaires pour que la tentative soit couronnée de succès: 1 point si la tentative était bien amenée, ou si on veut accélérer le jeu, 2 points si on veut un peu mettre des bâtons dans les roues de son partenaires ou si l’approche était inappropriée. Le joueur séducteur doit ensuite piocher dans un sac un nombre de bille correspondant à son talent de séduction (de 1 à 3). Le sac contient des billes noires, blanches et une seule bille rouge. Les premières n’offrent aucun point, les deuxièmes un point et la dernière trois points. Si le tirage offre suffisamment de points d’érotisme, la tentative est un succès, le ruban correspondant au talent utilisé peut être dénoué.

Spirou docteurRestent les gages. Lors d’une tentative réussie, le joueur séducteur utilise les points d’érotisme piochés dans le sac pour imposer des gages à l’autre joueur. Les gages sont choisis dans la liste mise au point pendant la préparation. Pendant le premier acte, les gages restent assez sages: les caresses se font au travers des vêtements et évitent les parties très intimes du corps et les baisers sur la bouche sont interdits.

Vient ensuite le tour de l’autre joueur de lancer une tentative de séduction. L’acte se termine lorsque chaque joueur a dénoué ses trois rubans. La rencontre se conclut donc par une avancée dans la relation: les personnages sont d’accord pour se revoir, avoir un rencard, échanger leur numéro, etc.

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Déshabillez-moi

Avant de passer à l’acte 2, il reste une chose importante à faire. En effet, pour ce deuxième acte, les joueurs doivent être en sous-vêtements. Que chacun s’effeuille sagement, que l’on s’adonne à un langoureux strip-tease ou que chaque joueur déshabille l’autre n’a pas d’importance. Difficile, donc, de jouer à Romance érotique en convention…

Hormis la tenue vestimentaire, l’acte 2 se déroule comme le premier, selon les mêmes règles. Durant cet acte, ce sont les premiers rendez-vous qui sont joués. Les gages sont ici plus osés: les caresses touchent la peau, et peuvent même passer sous les sous-vêtements pour les gages au score d’érotisme élevé. La dernière scène de cet acte se conclut par le premier baiser des personnages, et donc des joueurs.

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Les elfes, à poil !

Le petit SpirouLe dernier acte permet de jouer le premier moment intime des personnages. Les joueurs doivent être entièrement nus. De nouveau, le principe est le même, mais les gages de cet acte laissent de côté toute pudeur: caresses et baisers prolongés, masturbation et sexe oral sont de mise.

Une fois les rubans dénoués, la tension érotique est à son paroxysme, la partie en tant que telle est terminée, les joueurs sont maintenant libres de passer à une autre activité pour laquelle ils n’ont plus vraiment besoin des règles du jeu. Jetons un voile pudique sur cette scène…

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Quel effet ça me fait?

Je l’ai dit plus haut, Romance érotique ne rentre que très difficilement dans la catégorie de jeux de rôle dont parle ce blog. Le jeu est bien fichu, bien écrit, sans fausse pudeur si débauche de pornographie gratuite. Il est en outre très bien illustré, ce qui ne gâche rien. Par contre, tant qu’à faire dans le jeu érotique, j’en aurais voulu plus: des scénarios plus développés, une façon de jouer non pas sur une heure mais sur plusieurs jours, des « twists » comme des ruptures/séparations/réconciliations, des cartes ou événements aléatoires qui viennent ajouter du piment à la séduction, etc. Bref, pour moi, Romance érotique ne va pas assez loin dans son propos. Se limiter à une heure de jeu avant de passer à l’acte, c’est passer à côté de beaucoup d’aspects d’une séduction. J’aurais aussi beaucoup aimé une préface d’un sexologue qui donnerait un avis pertinent et professionnel sur l’intérêt de ces jeux à caractère sexuel dans le cadre d’un couple.

Romance érotique a donc eu le mérite d’oser, d’abattre peut-être un tabou, mais il me laisse sur ma faim…


Fiasco

Fiasco Couverture CoverPremière incursion pour l’art de la table (et pour moi aussi d’ailleurs) dans le monde des jeux narratifs à la limite du jeu de rôle « traditionnel », la lecture de Fiasco me laisse avec un forte envie de l’essayer et de découvrir d’autres story games. Le jeu est une tentative fort réussie de répliquer les histoires de quidams mettant en place des plans complexes qui finissent systématiquement par partir en sucette. Si vous pensez aux films des frères Coen comme Fargo ou Burn After Reading, vous êtes dans le bon. Les personnages sont en fait des monsieur et madame tout le monde qui, pour atteindre un but, vont fomenter un plan foireux dans lequel chaque chose pouvant mal se passer va se dérouler de manière pire encore…

Voyons en détail ce que nous réserve cette perle de Jason Morningstar traduite par les soins de Benoît Attinost pour Edge Entertainment.

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Jeu narratif, jeu de rôle?

On peut se poser la question: Fiasco est-il un jeu de rôle? Oui et non…

Oui, dans le sens où chacun des 4 à 6 joueurs interprète un personnage.

Oui, car le but est de raconter une histoire ensemble par les dialogues.

Non, si vous considérez que pour être du jeu de rôle, il faut un MJ qui propose des situations auxquelles réagissent les joueurs.

Non, si vous estimez que les règles sont là pour gérer le succès ou l’échec des actions des personnages.

Conclusion: Fiasco est à la limite du jeu de rôle. Certains l’incluront dans cette grande catégorie, d’autres, dont je suis, préféreront parler de jeu narratif ou de story game. A chacun sa façon de voir les choses. Finalement, ça n’a pas beaucoup d’importance.

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Comment ça marche?

Une partie de Fiasco ne nécessite aucune préparation. En réalité, la phase de préparation est la première phase du jeu, et chaque joueur y participe. Il n’y a pas de MJ, chaque joueur joue de la même façon. Pendant cette phase préparatoire, le groupe va d’abord choisir un Cadre qui servira de contexte à l’histoire. Fiasco propose quatre exemples: un bled paumé du sud des USA, une petite ville de l’ouest sauvage, une banlieue bourgeoise à l’apparence tranquille (vous avez dit Desperate Housewives?) et une station scientifique en antarctique. Mais seule l’imagination est une limite: pourquoi pas un fiasco dans une base orbitale, sur un campus universitaire, dans un club de foot ou une société de vente de photocopieuses?

La préparation continue par l’établissement de relations entre les joueurs et l’ajout de détails à ces relations. Grâce à une poignée de dés lancés au centre de la table (la moitié de blancs, l’autre de noirs), chacun à son tour propose une relation ou un détail s’y rattachant, pour lui ou pour d’autres joueurs, en choisissant dans les listes fournies pour le cadre. Au fur et à mesure que les dés sont piochés, un réseau de relations s’instaure entre les joueurs, et les détails donnent déjà une bonne idée des personnages et du plan foireux qui va venir. Ainsi, les deux premiers joueurs peuvent être collègues, tandis que les deux autres sont d’anciens amants, alors que le premier et le quatrième sont père et fils, le carré étant conclu par une relation criminelle: le joueur 2 est un bookmaker, le 3 un parieur invétéré.

A ces relations vont se greffer des détails liés à l’un, l’autre ou aux deux personnages de la relation: des objets, des besoins, des lieux, eux aussi choisis dans les listes du cadre. Besoin de s’enfuir de ce bled, de devenir riche en escroquant un handicapé, de se faire sauter par un vieil amour pour avancer dans votre plan. Les objets sont eux aussi liés à une relation: un magazine porno, une machette, une lettre du père noël, un souvenir de guerre, etc. Les lieux, enfin, sont idéaux pour donner le décor des scènes qui vont être jouées: l’église la Paix éternelle, Le Motel à la sortie de l’autoroute, les appartements au-dessus du pressing Quimousse, etc. Avec ces détails, votre réseau de relation vous donne déjà une bonne idée des personnages et de l’histoire qui va se mettre en branle.

Par exemple, si je vous dit que le joueur 1, fils du joueur 4 a écrit une lettre au père Noël dans laquelle il dit vouloir s’enfuir de ce bled pourri tandis que le joueur 3, ancien amant du 4 veut que ce dernier la saute une dernière fois pour obtenir une plus grande part du gâteau lors de la vente de leur appart’ situé au-dessus du pressing Quimousse, que ce même joueur 3 possède une machette qu’il utilise pour effrayer les parieurs mauvais payeurs et qu’enfin le joueur 2 veut escroquer le joueur 1 qui, je ne vous l’avais pas dit?, est handicapé, vous avez déjà un beau spaghetti pour vous lancer. Et pourtant, à la fin de la phase de préparation, vous aurez plus de détails encore sur la table…

C’est à la fin de cette phase que chacun définit son personnage en se basant sur les idées sur la table. Le joueur 1 déclare: « j’ai 20 ans, je m’appelle Johnnie Bygoode et je suis un grand nigaud qui croit encore au père noël. Je veux me barrer de cette ville de merde avec l’argent de la caisse de ma boîte. Le joueur 4 est mon père, et je ne l’aime pas particulièrement ». Et ainsi de suite, chaque joueur crée son personnage. Fin de la préparation, le véritable fiasco peut commencer.

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Les scènes

FargoUne fois le tout mis en place, les joueurs vont jouer les scènes. A chacun son tour, un joueur sera le protagoniste principal d’une scène. Il pourra choisir d’établir la scène, c’est à dire décrire où elle se passe, qui est présent et quels sont les enjeux. Dans ce cas, ce sont les autres joueurs qui choisiront, en cours de scène, si celle-ci se terminera de manière positive ou négative pour le joueur (en piochant un dé blanc ou noir au centre de la table, ce qui fait que la moitié des scènes « échouent »). Le joueur concerné peut aussi laisser ses compagnon établir le contexte de la scène, auquel cas c’est lui qui en choisira l’issue. Ensuite, c’est du pur roleplay. La seule limite est que la scène se conclut comme décidé par la couleur du dé choisi et qu’il faut utiliser les éléments déterminés pendant la préparation.

Dans notre exemple, le joueur 3 commence. Il établit la scène « je suis avec le joueur 4 dans notre ancien appartement vide que nous allons vendre. Je vais le séduire pour qu’il me fasse l’amour sur la moquette et ainsi l’amadouer ». Le dialogue démarre comme dans toute partie de jdr normale. A mis chemin, les autres joueurs, convaincus par le jeu d’acteur, choisit un dé blanc et le montrent à l’assemblée. Les joueurs impliqués dans la scène savent donc qu’elle doit se conclure par une partie de jambes en l’air sur la moquette poussiéreuse.

Chaque joueur sera ainsi au cœur de deux scènes pendant lesquels le bordel ambiant ne va que grimper. Puis viendra l’embrouille…

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L’embrouille

A cet instant, la moitié des dés a été récupérée par les joueurs. Chacun lance alors ses dés et additionne entre eux les blancs et les noirs avant de soustraire le plus petit score du plus grand. Les joueurs obtenant les plus hauts scores blancs et noirs vont choisir des éléments de l’embrouille. Vous l’aurez compris, avoir beaucoup de dés de la même couleur vous aide à obtenir un grand total (si si, relisez et réfléchissez).

Les éléments d’embrouille sont de nouveaux détails. Cette fois, il s’agit d’événements perturbateurs, volontairement vagues pour pouvoir s’inscrire dans l’histoire en cours: une mort inattendue, quelqu’un a des remords, l’amour pointe sa sale tronche, quelque chose de précieux est en feu, etc. Les deux joueurs avec le plus haut score choisissent chacun un élément, et on peut passer au deuxième acte.

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L’acte II

Burn after reading afficheC’est ici que tout part en couille. On joue une nouvelle séries de scènes, mais cette fois, il faut y ajouter des éléments de l’embrouille, ce qui risque de tout perturber encore un peu plus. Lorsque tous les dés au centre de la table sont attribués, l’histoire est terminée et presque conclue. Il est fort possible que certains personnages soient morts, en prison, estropiés, humiliés, trompés, cocus, trahis, riches, spoliés, dans les emmerdes jusqu’au cou. D’autres, qui ont bénéficié de plus de dés blancs, peuvent éventuellement mieux s’en sortir, ou en tout cas moins mal. Viennent alors les dénouements.

Imaginez le joueur 3 tenant la machette dans la main gauche, et le bras du joueur 4 dans la main droite, observant son amant se vider de son sang en hurlant dans la rue devant l’immeuble du pressing Quimousse en feu suite à l’explosion de gaz dans l’appartement du premier étage, qui était, par chance, à vendre, et donc vide… Tiens, mais alors qu’y faisait donc une bombonne de propane?

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Les dénouements

Chaque joueur lance de nouveau les dés obtenus pendant les scènes. Il obtient de nouveau un total, noir ou blanc. En consultant la table des dénouements, il obtient un résultat qui peut aller de « la pire chose de l’univers » à « dénouement barbare » en passant par « pitoyable » ou « pas trop mal ». Chaque joueur conclut donc l’histoire de son personnage en une petite phrase par dé obtenu lors des scènes. Chaque dénouement doit bien sûr conclure l’histoire du personnage et tenir compte du résultat du tirage sur la table des dénouements. Quand chacun a donné un dénouement par dé, le jeu est terminé.

Exemple: le joueur 1 a tiré un total de Noir 1 pour ses dénouements. Il déclare: « c’est ainsi que mon personnage dévale la bute en direction de l’autoroute dans sa chaise roulante, avec peu d’espoir d’échapper au convoi exceptionnel qui s’approche ». Le joueur 2 poursuit. Son résultat est « pas de quoi s’vanter ». Il déclare « Mon personnage compte les billets: 28 dollars et 32 cents. Comment faire pour me payer un billet pour L.A.? ». Et ainsi  de suite…

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Les petits +

Fiasco peut sembler abscons à la lecture, voire à la lecture de cet article. Heureusement, il est rempli de bons conseils pour chaque section, et surtout, la dernière partie du livre est un long exemple de partie qui met tout au clair. Lorsque vous refermez ce petit livre de 132 pages, vous savez quoi jouer et comment. Il ne vous reste plus qu’à trouver une bande d’amis pour entamer votre fiasco.

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Qu’en penser?

J’ai simplement trouvé ça génial, et je ne souhaite qu’une chose: l’essayer en vrai. Juste un petit avertissement: il faut réserver cela à des joueurs dégourdis, imaginatifs et friands de roleplay. Pour jouer à Fiasco, il faut des idées, de la répartie et une bonne dose d’auto-dérision. Oui, votre personnage va se planter, être blessé, être publiquement humilié, et c’est là le sel du jeu. On s’éloigne donc ici du jdr classique où chaque joueur chérit son personnage comme un joyaux pour lui faire atteindre ses buts et le faire progresser. Si vous êtres prêts à avoir cette ouverture d’esprit, alors Fiasco vous fera passer une toute bonne soirée !