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Les 22 règles du jeu de rôle selon Pixar (Épisode I)

OK, le titre est une entourloupe. Les studios Pixar ne se lancent pas dans le jdr. Par contre, Emma Coats, scénariste du studio, a tweeté il y a quelques années une liste de 22 règles pour raconter une bonne histoire qu’elle a apprises chez Pixar. Des règles que nous pouvons aisément détourner pour en faire des conseils utiles lorsque nous écrivons, préparons ou menons un scénario…

Les 22 règles, en anglais, sont trouvables ici et vous trouverez une traduction ici.

Commençons avec les 11 premières règles pour éviter l’article marathon.

Règle n°1 – On admire davantage un personnage pour ses tentatives que pour ses succès.

Traduction jdr : arrêtez d’être un MJ trop gentil et faites échouer les PJ. Quelle plus grande satisfaction pour un joueur que de voir son perso dans la merde jusqu’à la noyade, blessé, brisé, ruiné, réussir de justesse une mission ou une quête qui semblait perdue d’avance. À vaincre sans péril, blablabla, c’est très vrai dans une histoire. Si les persos réussissent toujours tout, la partie manquera de piment. Dés héros qui souffrent pour triompher, c’est ça une bonne histoire !

Règle n°2 – Gardez en tête ce qui intéresse le spectateur, pas ce qui est amusant à écrire. Deux choses très différentes.

Eh oui MJ et auteur de scénario, tu es là au service de tes joueurs. Tu amènes une proposition ludique, et ils vivent une grande aventure grâce à toi. Ils sont à la fois spectateurs et acteurs, et c’est pour eux en priorité que l’histoire doit être intéressante. Si le scénario n’est amusant que pour le MJ, il rate son objectif…

Règle n°3 – Essayer de mettre un thème est important, mais vous ne saurez pas de quoi parle l’histoire avant de l’avoir terminée. Maintenant réécrivez.

Deux choses ici. Quand vous écrivez un scénario, choisir un thème est effectivement important. Ça apporte un plus indéniable même si le thème ne passe que de manière subtile aux joueurs. Mais comme un scénariste de cinéma, il est possible qu’à la fin, votre scénario ait pris une direction inattendue. À ce moment-là, vous pouvez essayer de réécrire en y glissant plus d’éléments du thème, ou bien carrément changer de thème. Tant que vous ne jouez pas le scénario (ou que vous le publiez pas), vous pouvez tout changer, c’est pas grave.

Et pendant la partie, parfois, les joueurs ne voient rien de votre thème. Vous avez confectionné un truc aux petits oignons mais ces imbéciles de joueurs ne captent rien. Tant pis. Si pour combler ça vous insérez trop d’éléments liés à votre thème, ça aura un goût d’artificiel. Apprenez à vous dire « tant pis ».

Règle n°4 – Il était une fois _____. Tous les jours, _____. Un jour, _____. Suite à cela, _____. Jusqu’à ce que finalement _____.

Remplissez les blancs, vous avez votre prochaine prémisse de scénario. Pour du jeu de rôle, les personnage interviennent généralement pour éviter ce « finalement ».

Un exemple ? Il était une fois la liche Acererak. Tous les jours Acererak complotait aux quatre coins de l’univers pour créer de nouveaux dieux maléfiques. Un jour, il découvrit un artefact qui aspirait l’âme de tous ceux qui mourraient. Suite à cela, plus personne ne pouvait être ramené à la vie et ceux qui l’avaient été dans le passé dépérissaient. Jusqu’à ce que finalement suffisamment d’âmes soient aspirées pour créer un nouveau dieu de la mort. Oh, mince, je viens d’écrire Tomb of Annihilation !

Règle n°5 – Simplifiez. Allez à l’essentiel. Combinez les personnages. Évitez les détours. Vous penserez passer à côté de choses essentielles mais ça vous libérera.

En gros, ne faites pas trop compliqué. Votre intrigue impliquant neuf factions et 49 PNJ vous paraît totalement géniale. Comment allez vous transmettre cette masse d’information à vos joueurs ? Quel pourcentage (minime) retiendront-ils ? Simplifiez. De toute façon, les joueurs ont l’art de compliquer ce qui paraît simple.

Règle n°6 – En quoi votre personnage est-il doué ? Quelle est sa zone de confort ? Balancez-lui exactement l’opposé. Défiez-le. Comment s’en sort-il ?

On pourrait traduire ça en jeu de rôle par : foutez les PJ dans la merde, faites en sorte que ce soit difficile. C’est la manière dont les joueurs vont aborder la chose, les solutions qu’ils vont imaginer qui va rendre la partie intéressante. Le coup du « balancez l’opposé du point fort » est à prendre avec des pincettes en jdr. Une fois ou deux ça va, mais si vous faites ça systématiquement, vos joueurs auront surtout l’impression que vous les piégez.

Règle n°7 – Écrivez votre fin avant le milieu. Sérieusement. Trouver une bonne fin, c’est difficile, faites en sorte que la vôtre fonctionne très tôt dans le processus.

Surtout valable si vous écrivez un scénario. Commencez par la situation de départ, la fin, et puis ce sera plus simple de déterminer les étapes qui mènent de l’une vers l’autre. On pourrait croire que ça ne marche qu’avec du jeu de rôle « vanille », mais quand on y pense, lorsque l’on prépare ses fronts et leur destin funeste pour un jeu powered by the apocalypse, on ne fait rien d’autre que penser à la fin avant de s’intéresser au milieu.

Règle n°8 – Finissez votre histoire, même si elle n’est pas parfaite, lâchez prise. Dans un monde idéal vous auriez les deux, mais quoi qu’il en soit, avancez. Vous ferez mieux la prochaine fois.

C’est comme pour tout projet. À un moment donné il faut se dire qu’on a terminé. Si vous passez des milliers d’heures à peaufiner votre scénar, non seulement vous ne jouerez jamais, mais en plus vous risquez une énorme frustration quand vos joueurs vont mettre leur nez dans votre chef d’œuvre et tout foutre en l’air.

Règle n°9 – Si vous êtes coincés, faites une liste de ce qui ne devrait pas arriver ensuite. La plupart de temps, les éléments dont vous avez besoin pour passer outre le blocage vont apparaître.

Le conseil vaut pour l’écriture d’un scénario, mais aussi pendant la partie. Si vous êtes à cours d’idée, que tout ce qui vous vient en tête pour relancer la partie vous paraît inintéressant, faites une pause et posez-vous la question de ce qui ne doit pas arriver. Ça devrait vous aider à trouver l’idée qu’il vous faut.

Règle n°10 – Décortiquez les histoires que vous aimez. Ce que vous y appréciez fait partie de vous. Il faut les identifier avant de pouvoir les réutiliser.

Lisez des scénarios et jouez. Beaucoup. Chaque fois qu’un truc fait tilt, essayez d’analyser pourquoi ça vous plaît. Une fois que vous aurez mis le doigt dessus, vous pourrez le digérer et le réutiliser dans vos propres parties. Stephen King dit que si vous n’avez pas le temps de lire, vous n’avez le temps d’écrire, ni les moyens d’y arriver. C’est pareil en jdr. Si vous ne prenez pas le temps de jouer et de lire des scénarios, vous n’aurez jamais assez de matos pour écrire vous même ou pour improviser pendant vos parties.

Règle n°11 – Mettre votre histoire sur papier vous permet de commencer à travailler dessus. Une idée parfaite, tant qu’elle reste dans votre tête, vous ne la partagez avec personne.

Lancez-vous ! Le but d’un scénario de jeu de rôle est d’être joué. Alors écrivez-le. Pas besoin de vous lancer dans la rédaction au propre, mais vous pouvez faire une mind map, coller des mots-clés sur des post-it, gribouiller des bouts de phrase sur un coin de table. Bref, sortez cette idée géniale de votre tête et bossez dessus. Ça vous permettra vite de savoir si l’idée tiens un minimum la route, de découvrir les trous et les incohérences, de régler tout ça et de terminer avec un scénario jouable.

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Voilà, arrêtons-nous là pour aujourd’hui. Si vous utilisez ou interprétez les règles de Pixar, ou si vous en connaissez d’autres dans le même style, n’hésitez pas à commenter !

 

 


Créez des aventures simples, les joueurs ajouteront la complexité eux-mêmes

Robins Laws of good game masteringDeux événements sont à l’origine de cet article. Le premier, c’est le remplacement de ma partie de Guildes annulée pour cause d’accouchement par un Thoan au pied levé. Le second, c’est ma relecture de Robin’s Laws of Good Game Mastering de Robin Laws, dans lequel je lis « vous n’avez pas besoin de créer des aventures complexes, les joueurs le feront pour vous ». Cette phrase résonne étonnement bien avec le déroulement de la partie de Thoan de lundi…

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Le délire Thoan

On vous appelle deux heures avant la partie. Il manquera la moitié de la table. Vous décidez que c’est trop pour continuer la campagne en cours. Vous foncez dans le bureau et vous laissez vos yeux courir sur tous vos bouquins. « Bon, je fais quoi maintenant? » Vous tirez timidement Fiasco. C’est peut-être l’occasion de s’essayer aux story games… Puis votre regard tombe sur On Mighty Thews. Et pourquoi pas un jeu sans préparation? Oui mais voilà, vous ne vous sentez pas prêt pour un jeu sans préparation (oui, c’est paradoxal). Et voilà que vous retrouvez les feuilles de perso de votre dernière partie de Thoan (motorisé avec Cheap Tales). Les règles ne vous posent pas de problème. Aux joueurs non plus. L’univers est la porte ouverte à tout, puisqu’il s’agit d’un multivers. Allez hop, ce sera Thoan + Cheap Tales. Vous avez 35 minutes de route pour imaginer un truc, ça devrait suffire.

Ces 35 minutes vous font partir dans un délire fait de PJs prisonniers du rêve d’un seigneur dans lequel ils doivent retrouver la trace d’un artefact. Vous ne savez pas si c’est génial (certainement pas), mais ça devrait faire l’affaire pour un one-shot au débotté. Puisqu’il s’agit d’un rêve, vous décidez d’utiliser ce que diront les joueurs (que ce soit lorsqu’ils interprètent leur personnage ou lors des digressions de la vraie vie) pour décider vers quoi va s’orienter le rêve. Et que tout finira avec des fées et du mythe arthurien. Est-ce la fatigue d’une journée de travail ou l’album d’Opeth qui va trop fort dans la voiture, toujours est-il qu’à ce moment-là, je me suis dit: c’est assez compliqué pour jouer toute la soirée.

Ça l’était en fait trop. Je pensais que les joueurs comprendraient rapidement qu’en lâchant certains mots-clés, ils auraient le contrôle du rêve. Ils parlent d’ascenseur, ils trouvent un ascenseur. Ils parlent d’un livre, ils se retrouvent dans une bibliothèque. Ils parlent de sexe, un des livres est le Kâmasûtra. C’est raté. ils n’ont pas capté la chose, malgré de nombreux indices. Par contre ils ont cru comprendre des dizaines d’autres trucs, qui n’avaient pourtant rien à voir. En partant dans de nombreuses hypothèses plus déjantées les unes que les autres, ils ont ajouté leur propre couche de complexité à la mienne, et le tout est devenu assez confus. Tellement confus que, puisque je menais la partie à l’impro, j’ai moi-même un peu perdu le fil.

Bref, la partie est pour moi un échec. On s’est amusés, certes, mais son déroulement était un véritable Blougi-Goulba auquel les joueurs n’ont rien compris, et qu’il n’a pas été possible de mener vers une conclusion intéressante.

La conclusion, c’est que Robin Laws a sans doute raison. Si dans la voiture j’avais prévu un scénario linéaire en 5 scènes successives, la couche de complexité des joueurs aurait été suffisante pour le rendre assez  intéressant pour un one-shot. Le moindre petit mystère, la plus léger voile d’ombre laisse les joueurs s’imaginer des tas de trucs bizarres. En rebondissant sur ceux-ci, le scénario se serait complexifié de lui-même, et nous aurions passé un meilleur moment.

À méditer pour le prochain accouchement…

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Et vous, avez-vous des expériences de scénarios trop complexes, ou d’impros foireuses (ou pas) ? Dites-nous tout !


After party – le scénario est-il si important ?



Une expérience intéressante m’est arrivée récemment. C’était lors de ma dernière partie de COPS. Pour ceux qui connaissent bien la gamme, il s’agit du scénario Une semaine en enfer et particulièrement de l’affaire Charles-Oba Shaver. Un peu de contexte d’abord pour ceux qui ne connaissent pas le scénario : un riche magnat de l’immobilier est retrouvé assassiné chez lui. Tout laisse penser que c’est l’homme à tout faire de la maison qui est coupable, mais la vérité est plus sombre et complexe.

COPS - Amitiés de LALors de cette partie, le joueurs ont été bons. Très bons. Ils ont émis des hypothèses, qu’ils se sont empressés de valider avec différents témoignages et les indices récoltés. Et d’hypothèse en hypothèse, ils ont trouvé un fil rouge à toute cette histoire, un lien cohérent entre la nièce de l’homme à tout faire, ses relations avec la victime, l’école qu’elle fréquentait, ses amis, etc. Ils ont de fait trouvé leur coupable. La séance s’est terminée alors qu’ils cherchent un moyen de le confondre, car ils n’ont pour l’instant que des preuves indirectes.

Le sel de cette histoire, c’est que toute cette hypothèse s’éloigne considérablement du scénario, et que ce coupable idéal, et toute la piste qui mène à lui, n’était écrite nulle-part ! Mais tout était tellement cohérent, que j’ai choisi de leur emboîter le pas, et d’improviser afin que tout concorde. Car j’ai rapidement senti que leur hypothèse faisait finalement une meilleure histoire que la version du scénario, et que les joueurs méritaient de se voir gratifiés pour avoir élaboré tout ça. Lire la suite