Les Démiurges en Herbe VI approchent à grands pas. Demain, à peu près à la même heure (ce qui suppose que vous lirez ce texte le vendredi 31 août 2012 vers 20h00, ce qui suppose que je l’aurai posté à temps…), nous connaîtrons le thème de ce concours. Et des dizaines d’acharnés plancheront sur LEUR 8è merveille du monde après s’être définitivement brouillés avec leurs meilleurs amis (qui n’en étaient pas sinon ils auraient compris l’ultime importance des Démiurges) ou après être brutalement redevenus célibataires pour ne pas avoir sorti la poubelle après 3 rappels.
Car il faut bien se l’avouer, placés lors de la première quinzaine de septembre, les Démiurges s’adressent à un public cible très spécifique. Pas de seconde sess’, les cours pes encore repris, un boss compréhensif, une copine … hum … partie, et pas d’enfants. Cela pose le décor d’emblée. J’exagère, bien sûr. Il est comme ça, le Doc. Toujours à grossir le trait. D’ailleurs, il se met à parler de lui à la troisième personne. C’est mauvais signe.
Alors, tant qu’à s’attribuer une importance qu’il est loin d’avoir, allons-y pour quelques conseils d’usage. Et mettons-nous à parler de lui à la première personne du pluriel, majestatif s’il en est.
Le concept
Oui, un concept. L’idéal est de pouvoir dire, « mon jeu met en scène… » ou « dans mon jeu, il est question de… » et de faire suivre une phrase (j’ai dit « une »). Pas 15 lignes. Si vous ne pouvez pas dire simplement, rapidement, clairement, de quoi c’est-y que vot’ jeu y cause, alors il y a (comme qui dirait) un cheveux dans la soupe.
Bien sûr, ce n’est pas suffisant. Il faut aussi que ce concept soit novateur et, pour bien faire, original et qu’il attire le chaland. Dire « mon jeu met en scène des piétons qui essaient de traverser sans encombre la 5è avenue de New York », cela risque d’être un peu court, jeune homme.
Bien sûr, c’est ma vision des choses. Et encore, je suis personnellement assez souple sur la question « novateur », et un peu moins sur « originalité ». C-à-d qu’un jeu qui met en scène des nains et des elfes qui ne s’aiment pas, c’est assez « déjà vu ». Mais il peuvent attendre au bord de la 5è avenue que le feu passe au vert. Là, l’originalité revient au galop dans un grand crissement de pneus de taxi noir et jaune.
On pourra aussi dire qu’il importe peu d’être le premier, pourvu qu’on soit le meilleur. Certes. J’aime aussi cette idée. Néanmoins, je mets au défi quiconque d’écrire un jeu qui puisse empiéter sur les plates-bandes d’AD&D (qu’importe l’édition), Warhammer, Cyberpunk, AdC et le remplacer … en 75.000 signes et 15 jours de café noir.
Par analogie avec ce que pratiquent des connaissances dans les ateliers d’écriture, si vous ne trouvez pas de concept puissant qui constitue un fil rouge digne de ce nom, vous pouvez toujours googler le thème (ou vous multipliez les moteurs de recherche) et vous détaillez les liens et les pistes offertes. Cela peut provoquer le déclic salvateur.
Les piliers
Inutile d’essayer d’être exhaustif. À partir de l’idée centrale, et je reprends l’habituel conseil de Nonène (qui y connaît un rayon), il faut développer 4 ou 5 points essentiels et bourrer dedans. Les bétonner. Aller jusqu’au bout du bout de la fin du tunnel de chacun de ces 4 ou 5 points.
Effleurer 30 ou 40 points, loin de prétendre à l’exhaustivité, cela laisse une impression de manque de finition. Car il manquera toujours 1 point ou plusieurs auquel le juré pensera et qui le persuadera que le jeu manque de finition, de clarté, etc. Par ailleurs, cela provoque une surcharge d’informations, très peu emballante pour le juré dont, comme personne ne peut l’ignorer, les capacités intellectuelles sont médiocres. Pour preuve : il est incapable d’écrire un jeu en 15 jours et 75.000 signes de café noir. Ou l’inverse.
De plus, aligner une surabondance de points, cela amène immanquablement le créateur à mélanger l’essentiel et l’accessoire. Pas bon, ça. Et cela se ressent automatiquement sur la table des matières, un réel fouillis.
Tiens, tant que j’y suis, une table des matières, voilà bien quelque chose d’essentiel. J’annonce la couleur. Cette année, je serai intraitable sur la question de la pagination et de la table des matières. Pas mal de jurés vont lire (sauvons les arbres) les jeux sur leur PC, tablette, que sais-je encore ! Les liens à l’intérieur d’un document au format word ou pdf, c’est 100 fois mieux que quelques illus bidouillées à l’emporte-pièce.
L’écriture
Sur ce point, chacun fait ce qu’il veut. C’est sûr. Les jurés sont loin d’être des parangons de vertu littéraire, des Porcs de la Mandoline (sans doute des Pic de la Mirandole …). Lors des Démiurges V, j’ai vu des fiches d’évaluation bourrées de fautes, rentrées par des jurés qui reprochaient le style, la grammaire et l’orthographe. Pas crédible. Après ça, on s’étonnera (si peu) que les commentaires n’aient pas été plus souvent intégrés à des réécritures des jeux rendus lors des Démiurges V.
Cela dit, ce qui se conçoit bien s’énonce clairement et les mots pour le dire viennent aisément. Ce n’est même pas de moi, mais c’est la preuve que des choses dites voici plusieurs siècles s’appliquent encore, même si l’auteur ne connaissait ni iPad, ni smartphone, ni logiciel avec correcteur orthographique intégré.
Lors de la cinquième édition des Démiurges, j’ai lu des jeux au style parfaitement étudié. Les nouvelles illustrant le propos étaient vraiment bien faites. Et le jeu était rarement à la hauteur. Il ne suffit donc pas de savoir écrire. Il faut que ce talent soit uniformément réparti dans l’ensemble des règles. Sinon, l’auteur crée, d’une part, des attentes dans le chef du lecteur et, d’autre part, l’ensemble est déséquilibré, avec des pics et des creux. Au final, le lecteur en ressort le plus souvent avec une impression négative, se remémorant les parties « down » plutôt que les passages « up ». Et Pluto, c’est l’ami de Mickey, pas celui du créateur.
Citation imputée à Hemingway, à méditer, il ne sert à rien d’avoir du talent à la cinquième ligne si le lecteur ne dépasse pas la troisième. J’ajouterai, il ne faut pas tout sacrifier pour un bon mot, un jeu de mots ou une belle phrase ne justifie pas tout, avec le risque de se trouver isolée au milieu d’un désert qui ferait passer le Sahara pour une forêt amazonienne, ou de tomber à plat, sans apporter le relief que l’auteur pense avoir apporté à son œuvre. On n’est pas dans un atelier littéraire. Les redondances ne sont pas à proscrire, inutile de multiplier les synonymes boiteux, les périphrases ou les paraphrases pour éviter de répéter « personnage », « caractéristique », « compétence », etc.
Ah oui, pas d’envolée lyrique, non plus. Et tant qu’à faire, évitez les mots « pouvoir » ou « devoir »… j’ai eu à lire des phrases du style, « un jet peut permettre… » ou « il doit pouvoir permettre de… ». Sans être totalement fausses, ces tournures répétées à l’envie finissent par gaver le lecteur et cela peut conduire… non, cela conduit à une impression médiocre de l’ensemble.
Du rêve mais cohérent
Le système est bien sûr au cœur de l’ensemble. Mais il est au service du concept, ce n’est pas l’inverse qui prévaut. Cela peut évidemment arriver que le système de jeu existe AVANT le concept ou l’univers, bien sûr, tous les cas de figure existent. Mais le contraire est plus porteur, à mon avis.
Le lecteur doit se dire « bon sang, mais c’est bien sûr » à la lecture du système. Personnellement, je n’attends pas toujours un système qui révolutionne le jeu de rôle. J’attends un système qui s’insère idéalement dans le concept, sans faire de vagues, à tel point qu’on en finit par l’oublier ou qu’il se confonde avec le concept de base.
Par exemple, Durum rendu dans les Démiurges V. Les personnages sont de simples citoyens lambda (comme vous et moi… euh, surtout vous) qui gagnent un séjour de rêve offert par Fantasy Pasta. Ils sont définis par 10 clichés de vacances. Les actions se règlent au moyen de pâtes (crues) tirées d’une marmite. Certaines sont marquées de 1 à 10, ce qui permet de créer un lien avec les clichés qui définissent le personnage. Cqfd.
Un astuce sur le scénar
Parent pauvre de la création dans les Démiurges, le scénario est le plus souvent la dernière pièce du puzzle. Pas testé. Même pas relu, parfois.
Un scénario, c’est une trame, des lieux, des événements extérieurs, des interactions et des personnages non joueurs. PAS une sorte d’histoire avec des phrases du style… « Un étranger entre dans l’auberge, il a l’air louche, vos personnages l’abordent en lui demandant d’où il vient, à ce moment, il tourne les talons et sort de l’auberge, vos joueurs le rattrapent dans l’écurie, dans ses fontes, il a de l’herbe dont émane un lourd parfum nauséabond, mais il refuse de dire d’où il la tient ». Ne riez pas, j’ai lu des choses encore plus dirigistes où les actions et réactions des joueurs étaient notées.
Par ailleurs, le scénario proposé est le plus souvent un scénario d’introduction, la première prise de contact avec l’univers. Il doit à la fois être attrayant et garder des secrets. Il doit être cohérent avec les règles et l’univers. Il ne sert à rien de décrire les Urgons comme une « race de très très méchants » pour confronter les personnages à ce peuple lors du scénario d’introduction en les amenant à nouer un pacte et entamer des relations diplomatiques ou commerciales illico presto. Ne riez pas, bis, je l’ai lu aussi.
Enfin, le pitch
On ne le répètera jamais assez, le pitch s’écrit après tout le reste.
Son utilité est double. D’une part il doit donner envie de jouer. Comme une 4è de couv’. Et d’autre part, il annonce ce qui se trouve dans le jeu, et rien d’autre, en faisant bien la distinction entre l’essentiel et l’accessoire. Inutile d’appâter le chaland avec des choses qui ne se trouvent pas dans les règles.
Un bon jeu a souvent un bon pitch. Car qui peut le plus peut le moins. L’auteur qui a du talent pour écrire un bon jeu va aussi (le plus souvent) produire un bon pitch. Peut-être pas un excellent pitch, mais très correct quand même. A contrario, un excellent pitch peut annoncer un jeu complètement raté. Il y en a eu dans les Démiurges V. Si cela peut déboucher sur le prix du pitch, cela va le plus souvent mal disposer un juré qui salivera tel le chien de Pavlov à l’annonce du pitch, et se retrouvera occupé à mâcher un chewing-gum sans sucre, sans goût, sans rien en découvrant le jeu. Faut choisir, Jacques Séguéla ou Terry Pratchett… (OK, y’a moyen de cumuler)
Voilà, un peu plus de 10.000 signes de poncifs, de faux conseils et de lieux communs, vous direz-vous. Vous n’avez pas tort, à mon avis. Mais au moins vous en savez plus sur ce que j’attends d’un jeu. Et si vous avez tenu jusque là, cela veut dire que vous n’êtes pas devant votre PC à participer aux Démiurges VI. Inconscient…