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Crash-test : FATE

ThoanRécemment, je vous présentais FATE dans une série d’articles (partie 1, partie 2, partie 3). Cette série était basée sur la lecture de FATE Core, FATE Accelerated, le Toolkit et de jeux utilisant ce système. La semaine dernière, de suis allé plus loin et j’ai animé une partie. Voici donc un petit retour qui pourrait être utile aux MJ qui veulent se lancer dans leur première campagne avec FATE.

Précisons tout d’abord le contexte. Il s’agit d’une adaptation à FATE de l’univers du jeu Thoan. Adaptation « à la va vite » pour les besoins de la soirée: une liste de compétences orientée « faible niveau technologique », et des prouesses « pulp » tirées de FATE Core, Spirit of the Century et Dresden Files. Bref, un travail relativement bâclé, mais qui suffisait puisque nous n’allions jouer qu’une seule soirée. Il est aussi utile de préciser que c’était la fameuse table de casual gamers qui s’y collait.

Les dés

FATE DiceLe système de résolution basé sur les dés spéciaux s’explique assez rapidement. Passé l’étonnement des dés sans chiffres, lancer 4 dés et déterminer son résultat est facilement intégré. Non sans une certaine surprise lorsque les joueurs découvrent que la plupart du temps, les dés donneront un résultat compris entre -2 et +2, et que les scores extrêmes (+4 et -4) sont réellement exceptionnels. Lorsqu’on a pris l’habitude de lancer 2d6 + compétence ou 1d20 + modificateur, la faible amplitude des résultats interpelle. C’est voulu évidemment, cette faible amplitude rend l’utilisation des aspects obligatoire pour obtenir de gros résultats.

Les aspects et l’économie des points de destin

C’est donc là qu’on en arrive à parler des aspects, et d’un joueur à l’autre, la réaction varie fortement. Certaines sont déconcertés par le côté « free form » des aspects. Il n’y a pas de liste, et il faut parfois de l’imagination pour utiliser certains aspects. Ce sont ces joueurs-là, d’ailleurs, qui coincent un peu pendant le jeu lorsqu’ils veulent invoquer un aspect. Le système veut que la dépense du point de destin et l’invocation de l’aspect transforment la fiction pour qu’elle colle à l’aspect. Or ces joueurs attendent que la fiction soit tout à fait alignée avec leur aspect pour l’invoquer, ce qui rend le processus plus difficile à mettre en place.

Prenons un exemple: un personnage possède l’aspect « je protège toujours mes arrières ». Un habitué de FATE invoquera cet aspect pour améliorer un test de défense en combat en disant « je dépense un point, j’invoque [je protège toujours mes arrières], mon perso se colle à un arbre et s’assure de ne pas être pris à revers ». Le néophyte pense que s’il n’a pas d’abord déclaré dans sa description qu’il se colle à un arbre, il n’a pas le droit d’invoquer cet aspect. Après tout, dans un jeu sans aspects, difficile de demander un bonus à la défense si vous n’avez pas préalablement déclaré que vous vous colliez à un arbre. Il faut donc changer de logique pour jouer à FATE, certains ont plus de facilités que d’autres à le faire.

Je ne sais pas si on peut en tirer une généralité, mais les joueurs plus orientés acteurs ou storytellers ont plus de facilités à entrer dans la logique de FATE. À confirmer avec un plus grand nombre de joueurs, cependant.

Les aspects demandent donc un temps d’adaptation pour se voir utilisés à table. Et même après plusieurs heures de jeu, il faut encore rappeler à certains l’utilité de la dépense des points de destin. Car évidemment, FATE demande aussi de changer de logique par rapports à cette ressource  extrêmement précieuse dans d’autres jeux. Dans la plupart des jeux, quand vous avez une réserve de points à dépenser, il faut être parcimonieux, les garder pour les cas d’urgence et les situations désespérées. Pas à FATE. Il faut les claquer pour que son personnage ait l’air cool assez souvent. Et il faut accepter les petits ennuis pour en récupérer. Il faut accepter ce système d’échange permanent de points de destins. Là aussi, certains joueurs sont décontenancés. De manière intéressante, les joueurs expérimentés ont plus de mal que les nouveaux. Sans doute bridés par des années de pratique avare en points destin.

La manière de récupérer les points trouble également. En effet, il faut accepter de mettre son perso dans la merde (et parfois le groupe entier) pour récupérer des points. Ici aussi les vieux de la vieille, souvent très attachés à leur perso et aux petits soins pour qu’il ne leur arrive rien de fâcheux ont un peu de mal. Quand une joueuse (néophyte) a accepté le pion que je lui tendait pour que son aspect « démotivé congénital » fasse perdre du terrain au groupe, elle a reçu quelques regards noirs. Les joueurs ont l’habitude que le MJ leur pourrisse la vie, pas qu’un autre joueur soit son complice.

Les prouesses

Étonnamment, les prouesses passent assez facilement. Sans doute parce qu’on peut les comparer à quelque chose qui existe dans de nombreux autres jeux, comme les dons à D&D, les atouts des jeux de la gamme Clefs en main des XII Singes ou les bonus donnés par les stages dans COPS. Les joueurs n’ont donc eu aucun mal à les intégrer. Par contre leur utilisation m’a révélé un élément que je sous-estimais: la liste des prouesses disponibles est un élément essentiel pour typer un jeu. Pour adapter un univers à FATE, la création de la liste de prouesses pourrait se révéler un gros morceau. Au même titre que la magie ou les pouvoirs des personnages, même si le problème ne se posait pas à Thoan.

Conclusion

FATE, ça marche. Mais ça demande un temps d’adaptation variable d’un joueur à l’autre. Pour le MJ aussi d’ailleurs, qui doit, plus encore qu’ailleurs, aimer dire oui aux propositions de ses joueurs, et pouvoir rebondir sur une utilisation inventive d’un aspect :

elena3– J’invoque « tous les hommes me veulent » pour améliorer ma défense. 
– ? ? ?
– Ben quoi ? J’écarte ma tunique pour laisser entrevoir ma poitrine, il est troublé et attaque plus mollement.
– OK file-moi ton point de destin, tu as ton +2 à ta défense…

Certains joueurs se sentent directement à l’aise, d’autres moins, souvent troublés par les aspects, ou frustrés de n’obtenir « que » +2 aux dés alors qu’il s’agit déjà d’un excellent résultat. Jongler entre FATE et d’autres systèmes plus classiques pourrait donc se révéler difficile pour les joueurs moins à l’aise avec les règles.

Quoi qu’il en soit FATE se révèle aussi prometteur autour de la table qu’à la lecture. Alors vraiment, si vous hésitiez encore, faites-moi confiance, FATE, c’est bon, mangez-en !

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Et vous qui avez plus de bouteille avec FATE, avez-vous eu des difficultés au début ? Vos joueurs ont-ils saisi l’essence du système rapidement ? Y a-t-il eu des réfractaires ? Dites-nous tout…


Créez des aventures simples, les joueurs ajouteront la complexité eux-mêmes

Robins Laws of good game masteringDeux événements sont à l’origine de cet article. Le premier, c’est le remplacement de ma partie de Guildes annulée pour cause d’accouchement par un Thoan au pied levé. Le second, c’est ma relecture de Robin’s Laws of Good Game Mastering de Robin Laws, dans lequel je lis « vous n’avez pas besoin de créer des aventures complexes, les joueurs le feront pour vous ». Cette phrase résonne étonnement bien avec le déroulement de la partie de Thoan de lundi…

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Le délire Thoan

On vous appelle deux heures avant la partie. Il manquera la moitié de la table. Vous décidez que c’est trop pour continuer la campagne en cours. Vous foncez dans le bureau et vous laissez vos yeux courir sur tous vos bouquins. « Bon, je fais quoi maintenant? » Vous tirez timidement Fiasco. C’est peut-être l’occasion de s’essayer aux story games… Puis votre regard tombe sur On Mighty Thews. Et pourquoi pas un jeu sans préparation? Oui mais voilà, vous ne vous sentez pas prêt pour un jeu sans préparation (oui, c’est paradoxal). Et voilà que vous retrouvez les feuilles de perso de votre dernière partie de Thoan (motorisé avec Cheap Tales). Les règles ne vous posent pas de problème. Aux joueurs non plus. L’univers est la porte ouverte à tout, puisqu’il s’agit d’un multivers. Allez hop, ce sera Thoan + Cheap Tales. Vous avez 35 minutes de route pour imaginer un truc, ça devrait suffire.

Ces 35 minutes vous font partir dans un délire fait de PJs prisonniers du rêve d’un seigneur dans lequel ils doivent retrouver la trace d’un artefact. Vous ne savez pas si c’est génial (certainement pas), mais ça devrait faire l’affaire pour un one-shot au débotté. Puisqu’il s’agit d’un rêve, vous décidez d’utiliser ce que diront les joueurs (que ce soit lorsqu’ils interprètent leur personnage ou lors des digressions de la vraie vie) pour décider vers quoi va s’orienter le rêve. Et que tout finira avec des fées et du mythe arthurien. Est-ce la fatigue d’une journée de travail ou l’album d’Opeth qui va trop fort dans la voiture, toujours est-il qu’à ce moment-là, je me suis dit: c’est assez compliqué pour jouer toute la soirée.

Ça l’était en fait trop. Je pensais que les joueurs comprendraient rapidement qu’en lâchant certains mots-clés, ils auraient le contrôle du rêve. Ils parlent d’ascenseur, ils trouvent un ascenseur. Ils parlent d’un livre, ils se retrouvent dans une bibliothèque. Ils parlent de sexe, un des livres est le Kâmasûtra. C’est raté. ils n’ont pas capté la chose, malgré de nombreux indices. Par contre ils ont cru comprendre des dizaines d’autres trucs, qui n’avaient pourtant rien à voir. En partant dans de nombreuses hypothèses plus déjantées les unes que les autres, ils ont ajouté leur propre couche de complexité à la mienne, et le tout est devenu assez confus. Tellement confus que, puisque je menais la partie à l’impro, j’ai moi-même un peu perdu le fil.

Bref, la partie est pour moi un échec. On s’est amusés, certes, mais son déroulement était un véritable Blougi-Goulba auquel les joueurs n’ont rien compris, et qu’il n’a pas été possible de mener vers une conclusion intéressante.

La conclusion, c’est que Robin Laws a sans doute raison. Si dans la voiture j’avais prévu un scénario linéaire en 5 scènes successives, la couche de complexité des joueurs aurait été suffisante pour le rendre assez  intéressant pour un one-shot. Le moindre petit mystère, la plus léger voile d’ombre laisse les joueurs s’imaginer des tas de trucs bizarres. En rebondissant sur ceux-ci, le scénario se serait complexifié de lui-même, et nous aurions passé un meilleur moment.

À méditer pour le prochain accouchement…

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Et vous, avez-vous des expériences de scénarios trop complexes, ou d’impros foireuses (ou pas) ? Dites-nous tout !


After party – le scénario est-il si important ?



Une expérience intéressante m’est arrivée récemment. C’était lors de ma dernière partie de COPS. Pour ceux qui connaissent bien la gamme, il s’agit du scénario Une semaine en enfer et particulièrement de l’affaire Charles-Oba Shaver. Un peu de contexte d’abord pour ceux qui ne connaissent pas le scénario : un riche magnat de l’immobilier est retrouvé assassiné chez lui. Tout laisse penser que c’est l’homme à tout faire de la maison qui est coupable, mais la vérité est plus sombre et complexe.

COPS - Amitiés de LALors de cette partie, le joueurs ont été bons. Très bons. Ils ont émis des hypothèses, qu’ils se sont empressés de valider avec différents témoignages et les indices récoltés. Et d’hypothèse en hypothèse, ils ont trouvé un fil rouge à toute cette histoire, un lien cohérent entre la nièce de l’homme à tout faire, ses relations avec la victime, l’école qu’elle fréquentait, ses amis, etc. Ils ont de fait trouvé leur coupable. La séance s’est terminée alors qu’ils cherchent un moyen de le confondre, car ils n’ont pour l’instant que des preuves indirectes.

Le sel de cette histoire, c’est que toute cette hypothèse s’éloigne considérablement du scénario, et que ce coupable idéal, et toute la piste qui mène à lui, n’était écrite nulle-part ! Mais tout était tellement cohérent, que j’ai choisi de leur emboîter le pas, et d’improviser afin que tout concorde. Car j’ai rapidement senti que leur hypothèse faisait finalement une meilleure histoire que la version du scénario, et que les joueurs méritaient de se voir gratifiés pour avoir élaboré tout ça. Lire la suite