J’ai toujours eu beaucoup d’affection pour CHILL, le jeu de rôle consacré à l’horreur gothique. Je parle de la première édition, celle présentée dans une boîte sur laquelle figure un gentleman agitant une lampe à pétrole et connaissant les affres de l’ultime effroi.
Dans CHILL, les personnages intègrent la S.A.U.V.E., une organisation secrète qui entend traquer, documenter et combattre l’Inconnu. Je mets un « i » majuscule à cet inconnu, car il se personnifiait dans d’innombrables créatures issues de divers contes et légendes, principalement anglo-saxons.
On sent déjà que ce jeu est fait pour les fans d’E.A. Poe, de Jean Ray, de Thomas Owen, de Sir Arthur Conan Doyle…
J’en parle au présent, mais je crains bien que CHILL n’ait été depuis longtemps relégué aux oubliettes et ne croupisse dans un donjon SM de la région liégeoise (bien dotée en la matière si j’en crois une récente émission de la RTBF). Les candidats ne manquent pas pour reléguer CHILL sur les étagères, Patient 13 par exemple…
Mais ceci est une autre histoire. Il y a quantité de jeux intéressants et trop peu de temps et de gens pour y jouer. C’est mon avis. Mais ce n’est pas pour cela qu’il ne faut plus créer de nouveaux jeux. J’y reviendrai sans doute un jour.
CHILL donc, et ses monstres tirés de notre imaginaire quotidien, pour intégrer un quotidien imaginaire. De viles créatures dont le but dépasse le « mais pourquoi sont-elles si méchantes ? » pour atteindre le plus souvent une dimension plus large, quasi philosophique, conceptuelle, n’ayons pas peur des mots.
Prenons à titre d’exemple la Vieille Dame Indigne, traduction personnelle de The Mean Old Lady, cette petite vieille, une salope de vioque qui pue la pisse de chats et de la gueule. On murmure d’ailleurs dans le quartier qu’elle se livre sur et avec eux à des pratiques peu recommandables. Elle distribue des bonbons collants aux enfants dont les mères attentives s’emparent derechef. Elle ne rend jamais les ballons qui tombent dans sa cour, ou alors crevés. Elle parle toute seule et s’habille de vieilles nippes, sans doute aussi vieilles qu’elle. Personne ne connaît son âge. Elle semble avoir toujours habité là. Sa maison, elle aussi, est étrange, apparemment dotée d’une âme, de vie. Le passant ne peut se départir de l’impression dérangeante d’être épié lorsqu’il longe la haie mal entretenue qui borde le jardin à l’abandon, où on peut apercevoir diverses bricoles submergées par la végétation ou débordée par du lierre.
Vous connaissez cette vieille dame. Si ça se trouve, il en habite une au bout de votre rue.
Quelle aubaine, il vous suffit d’aller l’observer pour créer votre prochaine campagne de CHILL.
Loin des KULT, Appel de Cthulhu, Lost Souls… nous touchons du doigt la force de CHILL. L’horreur quotidienne, l’Heimlich de Freud. L’ordinaire, le banal dans toute sa puissance, au service de l’épouvante extrême. La petite misère qui prend le pas sur nos vies. Les racines du mal, les racismes mesquins, les troubles de voisinage… c’est là que l’abomination prend corps. Qu’elle se développe. Qu’elle enfle. Qu’elle rampe et s’insinue. Dans l’ombre de l’abri de jardin. Dans les travaux de terrassement du voisin. Dans les rumeurs sur les étranges fréquentations de la folle du bout de la rue. Dans les élucubration de l’idiot du village, dont on dit qu’il collectionne les organes d’animaux dans des bocaux. Dans les regards détournés, dans les rideaux qui s’agitent et retombent à votre passage, dans les portes closes pour l’étranger…
Les haines, les rejets, les racismes, autant de brèches dans lesquelles s’engouffre l’Inconnu, que les personnages vont débusquer et combattre.
Voici pas mal d’années, vingt ans au bas mot, je maîtrisais une campagne de CHILL et un couple pervers, sur le modèle de la Mean Old Lady, séquestrait des enfants en bas âge dans leur cave. On ne parlait pas encore de Julie et Mélissa, j’avais élaboré sur un cas de maltraitance familiale. Un joueur s’est exclamé « Mais, enfin, les voisins doivent quand même voir et dire quelque chose ! ». Inutile de mentionner que quand l’affaire Dutroux a été révélée, cela ne nous a pas confortés, mais encore davantage dégoûtés que la fiction soit rejointe par la réalité.
Bien sûr, il s’agit ici de MA vision de CHILL, d’une conception toute personnelle. J’aime instiller une atmosphère dans les jeux de rôle qui permette au banal de s’inviter à table, pour mieux générer l’effet (en l’occurrence l’horreur) parmi les joueurs.
Chacun fait ce qu’il lui plaît.
Essayez seulement.
Un landau qui tremblote et grince dans une pièce vide, sans que le personnage puisse encore voir ce qui se cache dedans, va à coup sûr provoquer davantage d’angoisse qu’un gros monstre qui attend derrière une porte. C’est ce que CHILL propose en s’inscrivant dans la nouvelle gothique.
Affronter une infâme vieille peau suintant la pisse de chat à la poêle en fonte, cela laisse d’autres souvenirs que de dégommer des Profonds à la Thompson ou que de cribler un Licteur à l’Uzi.