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Les 22 règles du jeu de rôle selon Pixar (Épisode II)

Continuons notre petite transcription rôliste des 22 règles de Pixar. Pour la première partie, c’est par ici !

Règle n°12 – Éliminez la première chose qui vous vient à l’esprit. Et la deuxième, la troisième, la quatrième et la cinquième. Débarrassez-vous de l’évident. Surprenez-vous !

Pendant une partie, pour garder un bon rythme, le MJ répond souvent aux joueurs par la première chose qui lui vient à l’esprit. Quand la situation est importante, prendre le temps de respirer un coup avant de répondre de manière à apporter un peu de surprise peut être une bonne chose.

Quand on écrit un scénario, le conseil est simplement à prendre à la lettre.

Règle n°13 – Donnez des opinions à vos personnages. Vous aimerez peut-être écrire à propos de personnages passifs ou malléables, mais ils sont comme du poison pour les spectateurs.

En gros, donnez du corps à vos PNJ. Le grand méchant qui ne veut détruire le monde que « parce queeeee ! », non seulement c’est déjà vu mille fois, mais qu’est-ce que ce sera chiant pour les joueurs. Un méchant avec une bonne motivation, qui a un point de vue – même tordu – est bien plus intéressant. Même les PNJ neutres ou bienveillants se doivent d’avoir une personnalité. S’ils disent amen à tout ce que proposent les joueurs, où est l’intérêt ?

Règle n°14 – Qu’est-ce qui vous pousse à raconter cette histoire-là ? De quelle conviction qui brûle en vous se nourrit-elle ? C’est là le cœur de votre histoire.

Que ce soit en tant qu’auteur de scénario ou de MJ, votre histoire sera bien meilleure si vous y croyez. Mettez-y du vôtre, investissez-vous, vous ne le regretterez pas. Si une histoire vous touche et vous donne envie de la mener à une table, essayez de voir pourquoi elle vous attire, et mettez cet élément en exergue.

Règle n°15 – Si vous étiez votre personnage, dans cette situation, comment réagiriez-vous ? La sincérité apportera de la crédibilité aux scènes les plus incroyables.

Interprétez vos PNJ et faites-les réagir de manière cohérente et sincère. Ce sont leurs convictions et leur personnalité qui doivent guider leurs actions, et pas ce qui vous arrange pour la suite de l’histoire. Votre méchant sadique et pervers qui laisse les PJ en vie parce que vous vous rendez compte que vous allez tout droit vers un massacre complet ? Incohérent, trouvez autre chose…

Règle n°16 – Quels sont les enjeux ? Donnez-nous des raisons de soutenir ce personnage. Que se passe-t-il s’il échoue ? Empilez les obstacles sur son chemin.

On a déjà parlé de l’importance d’un enjeu pour les combats. Mais c’est tout aussi important au niveau d’une scène ou du scénario complet. Les joueurs doivent savoir pourquoi ils se battent (ou au moins deviner que s’ils ne le font pas, ce sera grave), et les conséquences de leur échec doivent être catastrophiques. Et bien sûr, l’enjeu est élevé, et les difficultés pour y arriver ne font que s’accumuler. Pensez Die Hard : McLane doit sauvez les otages. Oh, merde, il n’a pas d’arme. Oh merde, il est tout seul. Oh, merde, il est pieds nus. Oh, merde, le méchant a identifié sa femme…

Règle n°17 – Aucun travail n’est du gâchis. Si ça ne fonctionne pas, laissez tomber et passez à autre chose. Il y aura bien un moment où ce que vous avez produit se révélera utile.

Inutile de pester si les joueurs sont brillants et passent outre tout un chapitre de votre scénario parce qu’ils ont eu une fulgurance. Les situations de ce chapitre vous seront utiles une autre fois. Peut-être à un autre jeu, peut-être dans dix ans. Ce n’est pas grave. Pareil pour ce super PNJ mitonné aux petits oignons que vos joueurs ne remarquent même pas. Il en va de même pour ce début de scénario que vous ne parvenez pas à terminer. Laissez-le dans un tiroir, on ne sait jamais.

Règle n°18 – Connaissez-vous vous-même, sachez faire la différence entre faire de votre mieux et chipoter. Écrire c’est tester, par raffiner.

Faites de votre mieux, c’est normal, mais ne vous faites pas du mal non plus. Quand on parle de jdr, il faut tout de même se rappeler que ce n’est qu’un jeu. Votre famille, vos amis, votre boulot, vos études, etc.  passent avant la qualité de votre partie de demain soir. Vous n’avez pas trouvé les illustrations pour toutes les scènes et il est l’heure d’aller récupérer les enfants ? Sachez où est la priorité.

Sur le « écrire, c’est tester, pas raffiner », j’ajouterais que quels que soient les efforts que vous mettez dans votre préparation, une fois confronté aux joueurs, tout ne va pas se passer comme prévu. Alors oui, soyez prêts, mais restez conscients que vous serez de toute façon obligé d’improviser. Alors ne sur-préparez pas.

Règle n°19 – Les coïncidences pour mettre les personnages dans l’embarras sont excellentes. Les coïncidences pour les en sortir, c’est de la triche.

À imprimer en grand dans le bureau où vous écrivez vos scénarios et à l’intérieur de votre écran pendant que vous menez. Votre boulot c’est de créer des situations compliquées pour les PJ, c’est à eux de trouver les solutions pour s’en sortir. Si vous les aidez avec une coïncidence ou un Deus ex machina, non seulement c’est tricher, mais ça enlève toute la gloire des joueurs.

Parfois vos joueurs verront des coïncidences là où il n’y en a pas. Faites en sorte qu’ils découvrent le pot-au-rose, ne les laissez pas sur l’idée que le MJ les a sorti d’un mauvais pas.

« Waw c’était plus facile que je ne l’aurais cru de s’enfuir de l’étoile de la mort, le MJ a été sympa en faisant rater tous les stormtroopers. »

« Non, mon cher joueur crédule, c’est parce que les stormtroopers ont reçu des instructions en ce sens et qu’un traceur a été collé à votre vaisseau pour vous suivre jusqu’à votre base… »

Règle n°20 – Faites l’exercice : prenez les éléments d’un film que vous n’aimez pas. Comment les réarrangeriez-vous pour en faire un film que vous aimez ?

Faites l’exercice : prenez un scénario que vous n’aimez pas, identifiez les éléments narratifs importants et réarrangez le tout pour en faire un scénario que vous aimez.

Poussez plus loin : vous n’avez pas aimé la partie d’hier. Quel étaient les éléments importants ? Qu’est-ce que vous n’avez pas aimé ? Qu’auriez-vous fait autrement ?

Règle n°21 – Identifiez-vous aux situations et à vos personnages, n’écrivez pas simplement « cool ». Qu’est-ce qui vous ferait régir ainsi ?

C’est très proche de la règle 15. Que ce soit en tant qu’auteur ou MJ, il faut vous plonger dans la scène et dans vos PNJ et créer une histoire cohérente. Pas seulement cool, mais sincère.

Règle n°22 – Quelle est l’essence de votre histoire? Quelle est la manière la plus efficiente de la raconter ? Si vous savez ça, vous pouvez construire à partir de là.

Une manière efficiente de raconter une histoire ? Ben oui, comment arriver à une histoire géniale du point de vue des joueurs sans éléments superflus ? Si vous avez le chemin le plus direct, vous pouvez ensuite construire les fausses pistes, les éléments qui font vivre l’univers, etc. Mais vous le faites en connaissance de cause, sans vous perdre vous-même et sans faire de votre histoire un truc indigeste.

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Voilà, on a fait le tour des 22 règles de Pixar. Rien de révolutionnaire en soi, mais c’est parfois bon de revenir aux fondamentaux. Commentez, n’hésitez pas, le bouton n’est pas loin…

 


Les 22 règles du jeu de rôle selon Pixar (Épisode I)

OK, le titre est une entourloupe. Les studios Pixar ne se lancent pas dans le jdr. Par contre, Emma Coats, scénariste du studio, a tweeté il y a quelques années une liste de 22 règles pour raconter une bonne histoire qu’elle a apprises chez Pixar. Des règles que nous pouvons aisément détourner pour en faire des conseils utiles lorsque nous écrivons, préparons ou menons un scénario…

Les 22 règles, en anglais, sont trouvables ici et vous trouverez une traduction ici.

Commençons avec les 11 premières règles pour éviter l’article marathon.

Règle n°1 – On admire davantage un personnage pour ses tentatives que pour ses succès.

Traduction jdr : arrêtez d’être un MJ trop gentil et faites échouer les PJ. Quelle plus grande satisfaction pour un joueur que de voir son perso dans la merde jusqu’à la noyade, blessé, brisé, ruiné, réussir de justesse une mission ou une quête qui semblait perdue d’avance. À vaincre sans péril, blablabla, c’est très vrai dans une histoire. Si les persos réussissent toujours tout, la partie manquera de piment. Dés héros qui souffrent pour triompher, c’est ça une bonne histoire !

Règle n°2 – Gardez en tête ce qui intéresse le spectateur, pas ce qui est amusant à écrire. Deux choses très différentes.

Eh oui MJ et auteur de scénario, tu es là au service de tes joueurs. Tu amènes une proposition ludique, et ils vivent une grande aventure grâce à toi. Ils sont à la fois spectateurs et acteurs, et c’est pour eux en priorité que l’histoire doit être intéressante. Si le scénario n’est amusant que pour le MJ, il rate son objectif…

Règle n°3 – Essayer de mettre un thème est important, mais vous ne saurez pas de quoi parle l’histoire avant de l’avoir terminée. Maintenant réécrivez.

Deux choses ici. Quand vous écrivez un scénario, choisir un thème est effectivement important. Ça apporte un plus indéniable même si le thème ne passe que de manière subtile aux joueurs. Mais comme un scénariste de cinéma, il est possible qu’à la fin, votre scénario ait pris une direction inattendue. À ce moment-là, vous pouvez essayer de réécrire en y glissant plus d’éléments du thème, ou bien carrément changer de thème. Tant que vous ne jouez pas le scénario (ou que vous le publiez pas), vous pouvez tout changer, c’est pas grave.

Et pendant la partie, parfois, les joueurs ne voient rien de votre thème. Vous avez confectionné un truc aux petits oignons mais ces imbéciles de joueurs ne captent rien. Tant pis. Si pour combler ça vous insérez trop d’éléments liés à votre thème, ça aura un goût d’artificiel. Apprenez à vous dire « tant pis ».

Règle n°4 – Il était une fois _____. Tous les jours, _____. Un jour, _____. Suite à cela, _____. Jusqu’à ce que finalement _____.

Remplissez les blancs, vous avez votre prochaine prémisse de scénario. Pour du jeu de rôle, les personnage interviennent généralement pour éviter ce « finalement ».

Un exemple ? Il était une fois la liche Acererak. Tous les jours Acererak complotait aux quatre coins de l’univers pour créer de nouveaux dieux maléfiques. Un jour, il découvrit un artefact qui aspirait l’âme de tous ceux qui mourraient. Suite à cela, plus personne ne pouvait être ramené à la vie et ceux qui l’avaient été dans le passé dépérissaient. Jusqu’à ce que finalement suffisamment d’âmes soient aspirées pour créer un nouveau dieu de la mort. Oh, mince, je viens d’écrire Tomb of Annihilation !

Règle n°5 – Simplifiez. Allez à l’essentiel. Combinez les personnages. Évitez les détours. Vous penserez passer à côté de choses essentielles mais ça vous libérera.

En gros, ne faites pas trop compliqué. Votre intrigue impliquant neuf factions et 49 PNJ vous paraît totalement géniale. Comment allez vous transmettre cette masse d’information à vos joueurs ? Quel pourcentage (minime) retiendront-ils ? Simplifiez. De toute façon, les joueurs ont l’art de compliquer ce qui paraît simple.

Règle n°6 – En quoi votre personnage est-il doué ? Quelle est sa zone de confort ? Balancez-lui exactement l’opposé. Défiez-le. Comment s’en sort-il ?

On pourrait traduire ça en jeu de rôle par : foutez les PJ dans la merde, faites en sorte que ce soit difficile. C’est la manière dont les joueurs vont aborder la chose, les solutions qu’ils vont imaginer qui va rendre la partie intéressante. Le coup du « balancez l’opposé du point fort » est à prendre avec des pincettes en jdr. Une fois ou deux ça va, mais si vous faites ça systématiquement, vos joueurs auront surtout l’impression que vous les piégez.

Règle n°7 – Écrivez votre fin avant le milieu. Sérieusement. Trouver une bonne fin, c’est difficile, faites en sorte que la vôtre fonctionne très tôt dans le processus.

Surtout valable si vous écrivez un scénario. Commencez par la situation de départ, la fin, et puis ce sera plus simple de déterminer les étapes qui mènent de l’une vers l’autre. On pourrait croire que ça ne marche qu’avec du jeu de rôle « vanille », mais quand on y pense, lorsque l’on prépare ses fronts et leur destin funeste pour un jeu powered by the apocalypse, on ne fait rien d’autre que penser à la fin avant de s’intéresser au milieu.

Règle n°8 – Finissez votre histoire, même si elle n’est pas parfaite, lâchez prise. Dans un monde idéal vous auriez les deux, mais quoi qu’il en soit, avancez. Vous ferez mieux la prochaine fois.

C’est comme pour tout projet. À un moment donné il faut se dire qu’on a terminé. Si vous passez des milliers d’heures à peaufiner votre scénar, non seulement vous ne jouerez jamais, mais en plus vous risquez une énorme frustration quand vos joueurs vont mettre leur nez dans votre chef d’œuvre et tout foutre en l’air.

Règle n°9 – Si vous êtes coincés, faites une liste de ce qui ne devrait pas arriver ensuite. La plupart de temps, les éléments dont vous avez besoin pour passer outre le blocage vont apparaître.

Le conseil vaut pour l’écriture d’un scénario, mais aussi pendant la partie. Si vous êtes à cours d’idée, que tout ce qui vous vient en tête pour relancer la partie vous paraît inintéressant, faites une pause et posez-vous la question de ce qui ne doit pas arriver. Ça devrait vous aider à trouver l’idée qu’il vous faut.

Règle n°10 – Décortiquez les histoires que vous aimez. Ce que vous y appréciez fait partie de vous. Il faut les identifier avant de pouvoir les réutiliser.

Lisez des scénarios et jouez. Beaucoup. Chaque fois qu’un truc fait tilt, essayez d’analyser pourquoi ça vous plaît. Une fois que vous aurez mis le doigt dessus, vous pourrez le digérer et le réutiliser dans vos propres parties. Stephen King dit que si vous n’avez pas le temps de lire, vous n’avez le temps d’écrire, ni les moyens d’y arriver. C’est pareil en jdr. Si vous ne prenez pas le temps de jouer et de lire des scénarios, vous n’aurez jamais assez de matos pour écrire vous même ou pour improviser pendant vos parties.

Règle n°11 – Mettre votre histoire sur papier vous permet de commencer à travailler dessus. Une idée parfaite, tant qu’elle reste dans votre tête, vous ne la partagez avec personne.

Lancez-vous ! Le but d’un scénario de jeu de rôle est d’être joué. Alors écrivez-le. Pas besoin de vous lancer dans la rédaction au propre, mais vous pouvez faire une mind map, coller des mots-clés sur des post-it, gribouiller des bouts de phrase sur un coin de table. Bref, sortez cette idée géniale de votre tête et bossez dessus. Ça vous permettra vite de savoir si l’idée tiens un minimum la route, de découvrir les trous et les incohérences, de régler tout ça et de terminer avec un scénario jouable.

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Voilà, arrêtons-nous là pour aujourd’hui. Si vous utilisez ou interprétez les règles de Pixar, ou si vous en connaissez d’autres dans le même style, n’hésitez pas à commenter !

 

 


8 mars (le retour)

Vous savez quoi ? On est le 8 mars ! Ça fait un an que j’avais posté cet article. Et malgré la vague #MeToo ou Time’s up, c’est toujours d’actualité. Alors je vous le remets, ça fait jamais de tort une piqûre de rappel.


 

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Nous sommes le 8 mars, journée internationale de la lutte pour les droits des femmes. Si à cet instant vous vous dites « merde, faut que je trouve un cadeau pour ma copine », je vous encourage doublement à lire cet article jusqu’au bout, ça pourrait faire de vous quelqu’un de meilleur (d’encore meilleur, puisque vous lisez déjà ce blog)… La journée des femmes n’est pas un jour où l’on célèbre sa

 

moitié par un petit cadeau. C’est surtout le jour idéal pour se rendre compte qu’aujourd’hui, les droits des femmes ne sont toujours pas identiques à ceux des hommes. Et je ne vous parle pas que des femmes qui ne peuvent pas conduire en Arabie Saoudite. Non, je vous parle de votre collègue qui touche un salaire moindre que le vôtre pour le même boulot.  Je vous parle de votre conseil d’administration où ne siègent qu’un tiers de femmes. Et je vous parle de la fille qui joue au jeu de rôle à côté de vous et qui ne vit pas tout à fait la même expérience que vos potes heureux possesseurs d’un pénis…

Ceci n’est pas un article militant. Je ne cherche pas à vous convaincre de quoi que ce soit. Mais si un seul des lecteurs du jour prend conscience de tous les petits problèmes que je vais exposer plus bas, j’aurai déjà fait avancer le schmilblick. Parce que oui, la discrimination envers les joueuses, c’est un truc qui me touche. Le premier problème étant que ça fait souvent marrer mes potes…

Prise de conscience

Je n’ai pas toujours été sensible au problème. Je n’en était même pas conscient. Puis un jour j’ai rendu un texte pour un jeu. Et l’éditeur m’a répondu : « attention, tous tes PNJ féminins sont présentés sous un jour positif, et toutes les professions à fantasme sont occupées par des femmes ». Après le premier « n’importe quoi » qui m’est venu en tête, j’ai relu mes textes. Merde, l’éditeur avait raison. Ma « galanterie » naturelle m’avait fait présenter chaque PNJ féminin comme quelqu’un de sympa. Tous les connards, pervers narcissiques, manipulateurs, salauds, truands et autres personnages privés de morale étaient des hommes. Ce jour-là, j’ai commencé à réfléchir au problème.

C’est devenu encore plus fort quand les Lapins Marteaux ont sorti le bouquin Mener des parties de jeu de rôle. Plusieurs articles utilisaient le mot « joueuse » au lieu de « joueur », et la préface expliquait clairement que la démarche n’était pas militante mais était juste un petit geste pour sensibiliser les lecteurs. Merde, ce bouquin a fait couler plus d’encre à propos du mot « joueuse » qu’à cause de la qualité extraordinaire des articles. Certains ont dit avoir reposé le livre après la préface (c’est dommage pour eux). D’autres ont joué les ayatollah de la grammaire en disant que c’était scandaleux d’utiliser un mot féminin pour un collectif comprenant des joueurs des deux sexes. Des discussions très animées ont leu lieu sur certains forums rolistes. Hallucinant, et déclencheur d’une nouvelle prise de conscience pour moi.

Dernier choc en date, la mise en ligne du blog Et pourtant elles jouent !. Le blog rassemble des témoignages de filles rolistes. C’est carrément hallucinant. Bien sûr on pouvait s’attendre à ce qu’on y rapporte des propos insultants, des comportements sexistes. Mais on y parle d’attouchements ou de viol.  Putain, de viol, merde ! Et d’associations de jdr qui ne font rien. De gens qui laissent faire. Là, la gerbe au fond de la gorge, j’ai décidé de vraiment faire gaffe. Et aujourd’hui, je vous demande de faire gaffe aussi.

On est tous un peu responsable

Dans l’imaginaire collectif et la culture populaire, les femmes tiennent en général deux rôles : la putain ou la victime. En gros, soit c’est une bombe de sexe qui finit dans le lit du héros, soit elle est la victime du méchant et un héros rempli de testostérone vient la sauver. Autour d’une table de jdr, c’est pareil. Combien de fois je n’entends pas la question « t’as combien en charisme ? » posée à une joueuse pour voir à quel point son personnage est « bandant » (ce qui démontre en outre une compréhension toute limitée du charisme). Question dont la réponse déterminera si a) le joueur va avoir des comportements de dragueur gros lourd envers le personnage féminin ou b) ajoutera « quoi, mais t’es moche ! »  Parce que dans la tête d’un homme, un personnage féminin il doit être sexy et attirant pour pouvoir ainsi être séduit. Alors oui, bien sûr, on peut interpréter un personnage masculin misogyne. On peut donner les défauts qu’on veut à son perso. Mais si ça devient systématique, et que même quand vous jouez un paladin sans peur et sans reproche vous considérez chaque personnage féminin comme de la viande à baiser ou à sauver, vous avez un problème.

Brienne de TorthLà on parlait des persos. Que dire des joueurs ? « Oh mais t’es une fille tu dois jouer la demoiselle faible et jolie ». Ou « mais non tu peux pas jouer un barbare, c’est un truc de mec ». Pire : « non mais laisse tomber, tu pourras pas comprendre les règles, c’est trop compliqué pour toi ». Bouquet final « t’es une fille, le boulot de MJ n’est pas pour toi ». Stop ! Une fille peut jouer un perso musclé, qui se défend lui-même, qui pète la gueule à des méchants. Oui, elle peut optimiser son perso pour le combat. Et non, c’est pas parce que son perso est une femme qu’elle doit être jolie et baisable. Ellen Ripley ça vous dit quelque chose ? Brienne de Torth ?

En tant que MJ, vous avez aussi une responsabilité. Ne jouez pas tous les PNJ féminins selon les bon vieux clichés. Non, toutes les archéologues ne ressemblent pas à Elsa Schneider. Non, une exploratrice n’est pas forcément Lara Croft. Non, toutes les prêtresses à D&D ne vénèrent pas la déesse de l’amour. Bref, cessez d’insister sur le caractère sexué du personnage. Vous décrivez systématiquement les pectos et les abdos d’acier de vos PNJ masculins ? Alors pourquoi décrire la poitrine ou les hanches de vos persos féminins ?

Résultat de recherche d'images pour "annie wilkes"Et vous là, les auteurs de scénarios, ne pensez pas que vous n’avez pas une part de responsabilité. Quel pourcentage de femmes dans vos PNJ importants ? Combien de grands méchants sont en réalité des grandes méchantes ? Vous avez des grandes méchantes ? Très bien, combien d’entre elles tirent leur pouvoir sur leurs sbires par autre chose que l’attirance sexuelle ? J’ai trouvé une liste de grand méchants emblématiques du cinéma hollywoodien, milieu très sexiste par ailleurs. Des grandes méchantes ? Cinq. Sur cinquante… Parmi elles, Catherine Tramell (Basic Instinct) et Alex Forrest (Fatal Attraction), des personnages hautement sexués. Heureusement qu’il y a aussi Annie Wilkes (Misery) et Amy Elliott Dunne de Gone Girl… Alors soyez meilleurs que ces messieurs scénaristes à Hollywood ! Prenez le pari : faites de votre prochain méchant une méchante au physique sans intérêt.

On peut aussi s’adresser à l’illustrateur qui se cache peut-être parmi les lecteurs. Arrête avec tes bikini chaimails. T’as pas fini de systématiquement mettre un décolleté et un wonderbra à tes personnages féminins ? Ton guerrier, là, t’en ferais pas une guerrière pour une fois ? Regarde D&D 5 et prends exemple. Regarde le chemin parcouru et emboîte le pas…

Ah, il reste aussi le responsable d’un club ou d’une association. Si une fille vient se plaindre d’un comportement inadéquat, putain fais quelque chose ! Une remontrance au coupable, un message aux membres, une exclusion si vraiment ça dépasse les limites. Et surtout, surtout, ne remballe pas celle qui vient se plaindre d’un « t’aurais du savoir que ça arriverait en venant dans un club où y a que des mecs »…

Grand voyage, petit chemin

En tant que joueurs et MJ, de petites choses peuvent déjà faire beaucoup. Les blagues sexistes : poubelle. Les clichés sur les persos féminins : poubelle. Et vous savez quoi ? Demandez simplement aux joueuses de la table de vous faire remarquer quand ce que vous dites est sexiste ou misogyne. Ça arrivera. Plus souvent que vous ne le croyez. Voyez, moi je joue les donneurs de leçon, et mardi passé une de mes joueuses m’a repris. Merci à elle ! Bref, un petit effort, un peu d’ouverture d’esprit, et vous constaterez que les joueuses sont des joueurs comme les autres…