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Connaissez vos joueurs

Vous connaissez sans doute Robin Laws. Non? Laws est un game designer canadien connu pour ses créations remarquées comme le système Gumshoe (utilisé dans Esoterrorists, Trail of Cthulhu ou Night’s Black Agents) et des jeux plutôt connus comme Dying Earth, Earthdawn ou encore Feng Shui. Laws est aussi l’auteur d’un ouvrage de conseils aux MJ: Robin’s Laws of Good Game Mastering. Ce dernier s’ouvre sur un conseil pourtant rarement suivi: s’intéresser aux joueurs, et à ce qu’ils recherchent en se joignant à une table de jeu de rôle afin de leur fournir ce qu’ils désirent. j’ai suivi ce conseil pour les trois groupes avec lesquels je joue régulièrement. Alors, est-ce utile?

Les différents types de joueurs

Dans son bouquin, Robin Laws décrit 7 grands profils de joueurs qui ont des motivations différentes pour jouer au jeu de rôle.

  • bodybuilderLe Power Gamer est ce que certains appellent parfois le Grosbill. Ce qui l’intéresse c’est d’avoir un personnage puissant et balaise et d’avoir des opportunités de le rendre plus puissant et plus balaise. Il s’intéresse aux règles et se fera un plaisir d’y trouver les déséquilibres qu’il pourra utiliser pour rendre son personnage encore plus puissant et balaise. (Celui qui fait ça au dépend des autres joueurs n’est pas un Power Gamer, c’est juste un joueur problématique – j’avais d’abord écrit « connard »).
  • 300Le Butt-kicker (botteur de fesses), est le barbare du Donjon de Naheulbeuk. il n’a qu’un mot à la bouche: « baston ». il veut mettre la pâtée à des adversaires, il veut que ça meule sévère, que ça gicle, que ça se noie dans les tripes et les boyaux. Il pourrait s’intéresser aux règles pour rendre son personnage optimisé pour la bataille ou bien s’en contre foutre et juste pouvoir réussir ses attaques et faire de gros dégâts. Là où le power gamer recherche la puissance sous toutes ses formes (pouvoirs, capacités, richesses, influence, etc.), le botteur de fesses ne s’intéresse qu’aux combats.
  • rubikscubeLe Tacticien veut des opportunités de résoudre des situations complexes par la réflexion et la logique. Il lui faut des obstacles, des défis, qui soient logiques et que son sens tactique permette de surpasser. Les règles se doivent également d’être logiques et cohérentes. Impensable pour lui de faire une action tactiquement insensée parce que « c’est la personnalité de mon personnage ». Le meilleur choix est celui qui apporte une victoire, et l’interprétation du personnage est, au mieux, secondaire.
  • ninjagoVous reconnaîtrez facilement un Spécialiste. En effet, quelle que soit la table, quel que soit le jeu, il jouera toujours le même type de personnage. Genre le ninja, le chevalier défendant la veuve et l’orphelin ou la fille liée aux fées (oui, même dans une campagne de COPS, son perso sera une fille New Age adepte du neo-druidisme qui fait pousser des bonsaïs). Pour l’intéresser, vous devrez lui fournir des situations où son type de personnage favori peut être sur le devant de la scène. Notez qu’un spécialiste du combat qui fait saigner est plutôt un botteur de fesses.
  • JeanGabinL’Acteur, comme son nom l’indique, est là pour interpréter un personnage de fiction. Le jeu de rôle est un moyen d’expression qui lui permet de s’identifier à son personnage. Il basera ses décisions sur la personnalité qu’il aura inventée pour son alter ego, même si elle semble tactiquement illogique (ce qui pourra le mettre en conflit avec les tacticiens). Il préfère les parties dont les règles sont absentes et prend son pied quand on ne lance pas de dé pendant des heures.
  • GeorgeRR-Martin-Trône-de-ferLe Storyteller, que je traduirais grossièrement par « narratif », est lui aussi plus intéressé par le côté roleplay du jeu de rôle. Il s’intéresse cependant plus à l’histoire qu’à la personnalité profonde de son personnage. Ce qu’il veut c’est vivre une grande aventure pleine de rebondissements, un peu comme s’il visionnait un film ou lisait un roman. Il fera des compromis pour faire avancer l’histoire vers des aspects intéressants. Pour capter son attention, votre scénario devra comprendre une histoire intéressante, voire des arcs narratifs variés. L’action devra avancer régulièrement, car rien ne l’ennuie plus que le status quo et les discussions stériles.
  • m&msEnfin, le Casual Gamer est le joueur qui vient à la table pour passer un bon moment avec ses potes en mangeant des chips et des m&m’s. Il suit l’histoire plus qu’il n’y prend part, et ne souhaite pas que son personnage prenne une place centrale. Les règles ne l’intéressent pas plus que ça non plus. Il est un peu un spectateur qui prend part. Cependant il ne faut pas négliger son rôle dans la dynamique du groupe. C’est lui qui mettra de l’eau dans le vin des autres quand les discussions deviennent tendues ou quand l’histoire n’avance plus parce que le reste de groupe ne parvient pas à s’entendre sur la marche à suivre.

Bien sûr, la plupart des gens ne rentrent pas dans un seul tiroir, et il est plus qu’utile de comprendre les motivations de chacun pour raffiner un peu les catégories. Pour ma part, j’ai demandé à mes joueurs de se classer eux-même, en leur proposant de choisir un ou deux ascendants, comme pour leur signe du zodiaque. Les ascendants étant des tendances secondaires qui viennent donner un peu de relief à leur catégorie.

À quoi ça sert?

Une fois vos joueurs classés dans ces différents profils, ça vous permet de savoir quels éléments vous devez placer dans vos parties pour qu’ils soient satisfaits. Peut-être le faisiez-vous déjà inconsciemment. Ou peut-être que vous avez trop longtemps négligé certains joueurs, que vous sentiez leur motivation s’étioler sans comprendre pourquoi. Maintenant vous savez, et vous pouvez y remédier.

C’est surtout utile quand un joueur se catégorise là où vous ne l’auriez pas mis à priori. J »ai ainsi découvert qu’une de mes joueuses prenait vraiment son pied en tant qu’actrice. Or je n’avais jamais vraiment remarqué d’élan particulier pour le roleplay. Enfin, pas plus que pour d’autres. La raison en est simple, je ne lui ai jamais donné l’occasion de vraiment se lancer. Il n’y a peut-être pas eu de dilemmes moraux suffisamment intéressants pour qu’elle interprète les doutes et les crises de personnalité de son personnage. je sais maintenant ce que je dois faire.

J’ai aussi eu la surprise de voir un groupe unanimement se qualifier de tacticiens ascendant narratifs. Tous sans exceptions plébiscitent dont des situations complexes où leur intellect leur permettra de briller. Je dois donc bien penser à créer des combats riches en options tactiques, en incluant des objectifs secondaires, ou des moyens de clôturer un combat sans devoir éliminer tous les adversaires. Je dois aussi penser à intégrer ça dans une bonne histoire pour satisfaire leur ascendant narratif, histoire qui pourra être complexe puisqu’ils veulent pouvoir dénouer des sacs de nœuds grâce à leur logique. Je l’ai dit, c’était une surprise pour moi, et je sais maintenant pourquoi ma dernière campagne de Patient 13 n’a pas marché. la folie inhérente au jeu peut donner des situations qui semblent incohérentes, illogiques. On ne comprend pas toujours tout, et le mieux c’est de se faire à cette idée puisqu’on est dans un asile de fou. Oui, mais ça n’a pas trop pris, car effectivement, les tacticiens aiment la cohérence. Maintenant je sais…

En conclusion

Je suis très heureux d’avoir demandé cette petite auto-évaluation à mes joueurs. Elle me permettra de mettre en place de meilleurs parties, et de m’assurer que chacun ressorte satisfait de nos sessions de jeu. Je sais aussi que je peux éviter certaines situations. Mon groupe de tacticiens s’en foutra des dilemmes moraux. Leurs personnages agiront de manière logique, et le côté émotionnel des choses passera au second plan. Par contre, mon autre groupe aux profils très variés, je devrai prendre soins de lui proposer un menu qui satisfasse tous les appétits. mais je ne placerai pas de combats très tactiques, car le groupe ne contient aucun tacticien, et les botteurs de fesse du groupe ne veulent pas de rencontres alambiquées, juste des méchants à laminer grave. Je devrai aussi aider l’actrice à s’exprimer, sans laisser de côté les deux casual gamers pour m’assurer de leur implication. Bref, très utile !

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Et vous ? Quel type de joueur êtes-vous ? Si vous êtes MJ, qui avez-vous à votre table ? Avez-vous déjà tenté d’analyser le type de joueurs qui vous entourent ?


Créez des aventures simples, les joueurs ajouteront la complexité eux-mêmes

Robins Laws of good game masteringDeux événements sont à l’origine de cet article. Le premier, c’est le remplacement de ma partie de Guildes annulée pour cause d’accouchement par un Thoan au pied levé. Le second, c’est ma relecture de Robin’s Laws of Good Game Mastering de Robin Laws, dans lequel je lis « vous n’avez pas besoin de créer des aventures complexes, les joueurs le feront pour vous ». Cette phrase résonne étonnement bien avec le déroulement de la partie de Thoan de lundi…

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Le délire Thoan

On vous appelle deux heures avant la partie. Il manquera la moitié de la table. Vous décidez que c’est trop pour continuer la campagne en cours. Vous foncez dans le bureau et vous laissez vos yeux courir sur tous vos bouquins. « Bon, je fais quoi maintenant? » Vous tirez timidement Fiasco. C’est peut-être l’occasion de s’essayer aux story games… Puis votre regard tombe sur On Mighty Thews. Et pourquoi pas un jeu sans préparation? Oui mais voilà, vous ne vous sentez pas prêt pour un jeu sans préparation (oui, c’est paradoxal). Et voilà que vous retrouvez les feuilles de perso de votre dernière partie de Thoan (motorisé avec Cheap Tales). Les règles ne vous posent pas de problème. Aux joueurs non plus. L’univers est la porte ouverte à tout, puisqu’il s’agit d’un multivers. Allez hop, ce sera Thoan + Cheap Tales. Vous avez 35 minutes de route pour imaginer un truc, ça devrait suffire.

Ces 35 minutes vous font partir dans un délire fait de PJs prisonniers du rêve d’un seigneur dans lequel ils doivent retrouver la trace d’un artefact. Vous ne savez pas si c’est génial (certainement pas), mais ça devrait faire l’affaire pour un one-shot au débotté. Puisqu’il s’agit d’un rêve, vous décidez d’utiliser ce que diront les joueurs (que ce soit lorsqu’ils interprètent leur personnage ou lors des digressions de la vraie vie) pour décider vers quoi va s’orienter le rêve. Et que tout finira avec des fées et du mythe arthurien. Est-ce la fatigue d’une journée de travail ou l’album d’Opeth qui va trop fort dans la voiture, toujours est-il qu’à ce moment-là, je me suis dit: c’est assez compliqué pour jouer toute la soirée.

Ça l’était en fait trop. Je pensais que les joueurs comprendraient rapidement qu’en lâchant certains mots-clés, ils auraient le contrôle du rêve. Ils parlent d’ascenseur, ils trouvent un ascenseur. Ils parlent d’un livre, ils se retrouvent dans une bibliothèque. Ils parlent de sexe, un des livres est le Kâmasûtra. C’est raté. ils n’ont pas capté la chose, malgré de nombreux indices. Par contre ils ont cru comprendre des dizaines d’autres trucs, qui n’avaient pourtant rien à voir. En partant dans de nombreuses hypothèses plus déjantées les unes que les autres, ils ont ajouté leur propre couche de complexité à la mienne, et le tout est devenu assez confus. Tellement confus que, puisque je menais la partie à l’impro, j’ai moi-même un peu perdu le fil.

Bref, la partie est pour moi un échec. On s’est amusés, certes, mais son déroulement était un véritable Blougi-Goulba auquel les joueurs n’ont rien compris, et qu’il n’a pas été possible de mener vers une conclusion intéressante.

La conclusion, c’est que Robin Laws a sans doute raison. Si dans la voiture j’avais prévu un scénario linéaire en 5 scènes successives, la couche de complexité des joueurs aurait été suffisante pour le rendre assez  intéressant pour un one-shot. Le moindre petit mystère, la plus léger voile d’ombre laisse les joueurs s’imaginer des tas de trucs bizarres. En rebondissant sur ceux-ci, le scénario se serait complexifié de lui-même, et nous aurions passé un meilleur moment.

À méditer pour le prochain accouchement…

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Et vous, avez-vous des expériences de scénarios trop complexes, ou d’impros foireuses (ou pas) ? Dites-nous tout !