Seconde contribution préparatoire au concours des Démiurges en herbe V, lancé par ForgeSonges. Bla bla bla… tout ceci n’engage évidemment que moi.
Commençons par une anecdote.
J’ai passé beaucoup de temps à la même table qu’un personnage haut en couleur du folklore rôlistique liégeois. Sa silhouette voûtée, son dandinement mâtin, son fidèle compagnon canin, ses exclamations de joie et son accueil chaleureux et sincère sont légendaires, et rayonnent bien plus loin que la rue Saint-Gilles où il a élu domicile.
Bref, cet ami, que je nommerai François G., partageait, comme joueur ou meneur de jeu la quasi totalité des parties de jeux de rôle auxquelles je m’adonnais alors.
Vingt-cinq ans après les faits, et il y a sans doute prescription, il va me servir pour ma démonstration.
Le cadre : AD&D. Nous étions un sémillant groupe d’aventuriers que la ribaude ne rébarbait pas et qui ne rechignaient pas à la tâche. Or, donc, de passage dans un village quelconque, il apparaît que les gens sont gais et enjoués comme des culs-de-basse-fosse. Nous nous enquérons. Et l’histoire d’une tour se matérialisant tous les 1000 ans (ou quelque chose comme ça) nous est contée. La demeure d’un magicien, assurément. Sans doute emplie de moult trésors, comme il se doit.
Le sang du groupe ne fait qu’un tour. De tout le groupe ? Non, car il restait un irréductible aventurier qui n’avait pas été frappé par l’esprit d’aventure.
Nous nous mettons en route vers l’endroit où la tour magique était susceptible d’apparaître. Et au troisième top, bingo, la voilà qui surgit de nulle part, majestueuse et imposante, toute de pierre et de torchis, de tuiles et de chêne, construite.
Nous nous apprêtons. Nous fourbissons nos armes. Nous avançons d’un pas résolu et conquérant (histoire de montrer que nous n’avions pas peur et des fois qu’on nous materait de la tour) vers l’inconnu. Tiens, pour la peine, j’aurais pu mettre une majuscule à « inconnu ».
C’est à ce moment-là que nous avons entendu un « eh les gars, moi je vais garder les montures »…
François G., car c’est de lui dont il s’agit, devant la tour, ne se sentait pas transporté d’enthousiasme et préférait passer les 1000 prochaines années à nous attendre, se décatir, pourrir, dessécher, et redevenir poussière. Avec nos montures. Au moins, elles seraient bien gardées…
Impossible de lui faire entendre « raison ». De le persuader que ne pas entrer, cela signifiait qu’il ne faisait plus partie du groupe. Etc.
Il a pris les choses très philosophiquement. A rendu sa feuille au meneur. S’est levé et nous a souhaité une bonne aventure. Ce qu’elle ne fut pas, d’ailleurs, mais cela, c’est une autre histoire.
Nous, bêtement, nous avons un peu rigolé à table. Nous nous sommes aussi regardés, un peu interloqués.
La morale de c’t’histoire, c’est que François G. traversait une sale passe personnelle et que jouer ne lui disait rien, car cela ne faisait pas écho en lui.
Mais j’ai beaucoup réfléchi à tout cela. Et j’ai fini par trouver qu’il avait raison et que nous aurions dû faire demi-tour et nous en aller.
Bien sûr, nous savions que le scénario était là, dans la tour magique. Et que notre « devoir » de joueur était d’y entrer.
Mais « c’est un peu court, jeune homme » comme dirait Cyrano de Bergerac.
Des aventuriers, c’est bien connu, cela fonce dans la première aventure qui leur tend les bras. Ben tiens, c’est sûr. Cela ne fait pas un pli.
Je vous vois ricaner derrière votre écran. Je vous parle d’un « temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître », c’est clair. Détrompez-vous. Lors des Démiurges IV, j’ai été amené à lire pas loin d’une vingtaine de jeux, sinon davantage. La mémoire me fait défaut.
Et dans plus de la moitié d’entre eux (que dis-je trois quarts bien frappés), rien, niets, nada, nothing, sur l’implication des personnages-joueurs dans l’univers et le déroulement des aventures, leur rôle, leur positionnement… On décrit les aléas, les systèmes, les méchants (très très méchants, comme il se doit). Mais rien sur la motivation des personnages. Et même, les méchants sont décrits en long et en large, mais (de nouveau) leur motivation est peu fouillée. Ils sont méchants. Les personnages-joueurs sont là, alors le jeu doit rouler tout seul. On plonge la main dans le bol à chips, on sirote son soda et on lance quelques dés. Et c’est le bonheur, somme toute.
Comme si tout coulait de source.
Évidemment, il y a cet éternel prérequis : le joueur est là pour jouer. Et pour tirer les grosses ficelles tendues par le meneur dans le scénario. On l’a tous fait. Et on le fera encore. C’est reposant. Confortable.
Mais cela ne coûte pas grand-chose au meneur de chercher des motifs, des éléments pour intégrer les personnages. Durant les quelques années où j’ai suivi des ateliers d’écriture, la question de l’animatrice revenait comme un leitmotiv à la fin de chaque lecture de textes. Quelle est la motivation des personnages ? Et là, cela n’incombe pas qu’au joueur. Le meneur doit aussi se fouler. A fortiori quand il pond un jeu.
Bons Démiurges V.