Comment j’ai remporté les Démiurges (1/2)

Démiruges en Herbe 6Entendons-nous bien: oui, j’ai gagné cette année le concours des Démiurges en Herbe. Non, ceci n’est pas un article pour « me faire mousser » ou me voir submergé de louanges. En vérité, le titre m’a été soufflé par un maître Jedi, et il ne reflète pas à 100% le contenu de l’article. Il ne s’agit donc pas d’une recette pour gagner le concours, juste d’un retour sur une expérience que j’ai trouvé enrichissante, et qui, je l’espère, pourra enrichir en retour ceux qui décideront de participer à la prochaine édition. Les conseils ci-dessous ne sont pas tirés que de ma seule expérience, mais des commentaires de nombreux participants sur le forum.

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Pourquoi participer?

C’est la première question à se poser. Lors des échanges sur le forum du concours, on rencontre différentes sortes d’animaux. Certains viennent pour la gagne: ils veulent réaliser un bon jeu, terminer dans le trio de tête et espèrent ainsi obtenir un peu de reconnaissance et une lecture par un ou plusieurs éditeurs professionnels. C’était mon cas, je ne m’en cache pas. À l’opposé de ceux-là, on trouve ceux qui ne participent que pour le fun. Ils proposent un jeu, en discutent sur le forum et n’ont guère d’autre ambition. Entre ces extrêmes, on trouve ceux qui espèrent un jour porter l’étiquette « auteur de jeu » et qui viennent ici comme on met une voiture au banc d’essai. Le concours leur permet d’avoir un retour sur leur production, mais aussi de pouvoir lire les jeux qui se classent bien et de comprendre ce qui marche bien ou pas.

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Prévoyez votre investissement

Avant de se lancer dans le concours, il est bon de savoir pourquoi on le fait, de bien situer ses ambitions. Si vous le faites pour gagner, alors soyez prêt à investir beaucoup de temps et d’énergie. Un jeu lauréat ne se produit pas en 8 heures… Relisez-donc les articles du Doc sur ce blog pour de judicieux conseils (cliquez sur le mot-clef Démiurges dans la colonne de droite). Pour produire Shame, Inc., j’ai bossé une quarantaine d’heures sur 15 jours. J’ai sacrifié du temps de loisir et des heures de sommeil au concours. Autant être prévenu: c’est épuisant, et on ne peut pas le faire plus longtemps que 2 semaines. Si vous ne pouvez pas libérer du temps ou si vous ne pouvez pas survivre sans vos neuf heures de sommeil quotidiennes, alors il vaut peut-être mieux revoir vos ambitions à la baisse.

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Attendez le thème

Avant le lancement du concours, on est tout feu tout flamme, on réfléchit déjà à plusieurs idées. C’est une erreur: une fois le thème dévoilé, vous aurez beaucoup de chances si une de vos idées correspond. Je vous suggère plutôt de mettre le temps qui précède le concours à profit pour « réviser »: feuilletez des jeux que vous jugez d’une grande qualité, relisez les jeux lauréats des années précédentes, regardez la structure d’un jeu pro. Furetez pour savoir ce qui est trendy en ce moment (vous avez dit les jeux narrativistes? C’est le moment de faire main basse sur le catalogue complet de la Boîte à Heuhh).

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Ne foncez pas sur votre première idée, et ne désespérez pas

C’est le jour J, le thème est dévoilé. Vous restez hagard face à votre écran: ça ne vous inspire pas du tout. C’est normal (enfin, je crois). Le premier réflexe est de se dire « bof, je passe mon tour, je ferai le concours l’année prochaine ». Mais non! L’inspiration ne vient pas comme ça. Comme l’a dit le Doc, Wikipedia est votre ami (attention, c’est aussi un ennemi, j’y reviendrai). Un des thèmes de cette année était le mot « bulle ». Une rapide recherche dans l’encyclopédie en ligne peut déjà donner 25 idées: des bulles de savon aux bulles de gaz dans le champagne en passant par les bulles de Hubble ou les bulles spéculatives. Ça peut déjà vous inspirer. Si le thème est multiple (comme c’était le cas cette année), répétez les recherches. Shakespeare, Gustave Doré… Rien ne vous vient. Pas grave, allez dormir, ça ira mieux demain.

Le lendemain matin votre cerveau a créé 25 idées. Génial? Non, pas du tout. Il va falloir trier un peu le tout et voir ce qui peut vraiment devenir un jeu. Des bulles dans la bière! On pourrait jouer des moines trappistes… Sans déconner, vous voulez vraiment jouer ça? Qu’est-ce qu’ils foutent d’intéressant les moines (à part leur bière, on est d’accord)? Gustave Doré a illustré le Paradis Perdu. Cool, je vais faire un jeu là-dessus. Halte ! Piège ! Le thème n’est pas le Paradis Perdu de Milton mais l’univers visuel de Doré. La citation de Shakespeare. Des poignards dans les paroles. Pourquoi pas un super-pouvoir qui tue rien qu’en parlant. Ah, on tient peut-être quelque chose. OK, je me lance! Nooooon! Stop! Vous avez encore 13 jours et demi. Laissez décanter. Listez vos idées en une seule phrase. Annotez de quelques mots-clefs, laissez reposer.

C’est peut-être pire, votre cerveau s’est réveillé vide, sans idée intéressante. Ou une fois le tri fait, vous réalisez que rien de tout ça ne peut donner un jeu. Ne désespérez pas. L’idée de Shame m’est venue le mardi en fin de journée. 3 jours après l’annonce du thème. Jusque là j’étais complètement perdu, prêt à abandonner. Je visitais le forum et plusieurs disaient déjà avoir une idée et même commencé la rédaction. J’étais foutu. Je voulais gagner les Démiurges, et je n’avais même pas une idée valable…

Je vais vous faire une confidence: j’ai lu tous les messages du forum, et un participant a envoyé deux idées qu’il avait eues et qu’il avait laissé tomber. L’une d’elle: la mort met en place une agence qui envoie ses agents tuer ceux qui ont échappé à la mort pour une raison ou une autre. Les agents doivent retrouver la personne et dire son nom à voix haute pour l’envoyer définitivement ad patres. L’idée, seule, ne peut pas faire tout un jeu (et se rapproche fort des films Final Destination). Mais je suis sûr que c’est suite à la lecture de ce pitch que m’est venu celui de Shame, Inc. En tout cas celle d’une agence liée  à la citation de Shakespeare et ses « poignards dans les paroles ».

Bref, ne foncez pas sur votre première idée, et ne désespérez pas d’en trouver une. Parfois ça vient sans qu’on s’en rende compte. Moi, je rentrais du boulot et je roulais à 140 sur l’autoroute en écoutant Tool à fond…

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Suis-je vraiment original?

Bon, vous avez votre idée. C’est cool. C’est extrêmement cool! Attendez encore un peu: cherchez si un jeu n’existe pas déjà sur le même thème. Votre jeu sur les Loups-Garous est super, oui, mais se démarque-t-il suffisamment des jeux de White Wolf? Une med-fan? Ouais, c’est pas juste un autre Warhammer ou des Ombres d’Esteren déguisées? Il existe de nombreux jeux. Rien que sur le Grog il y a aujourd’hui 996 gammes. Alors soyez certain de vous démarquer de ce qui existe, les jurés n’auront aucune pitié à ce sujet. Si quelque chose de similaire existe, assurez-vous que le traitement que vous apporterez à votre projet sois suffisamment différent, unique et original. Si c’est impossible, repassez par l’étape précédente et cherchez une autre idée…

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Réfléchir avant d’écrire

On ne débute pas l’écriture d’un jeu de rôle en ouvrant un nouveau document Word et en commençant par l’introduction. Prenez plutôt un bloc-notes. Réfléchissez à votre projet. Notez le concept central en deux lignes. Vous pouvez éventuellement noter ce qu’il n’est pas (mon jeu ne parle pas de PJ vampires qui vivent leur transformation comme une malédiction et qui sont pris dans les jeux politiques des vampires plus anciens, divisés en clans).

Faites un plan. Vous avez 75000 caractères. C’est beaucoup et peu à la fois. Notez ce que vous pensez que votre table des matières devrait être. Assurez-vous que tout y est, puis essayez, grosso-modo, d’octroyer un certain nombre de caractères à chaque partie. À titre d’exemple, Shame c’est 15000 caractères de contexte, 22000 pour le système de jeu, 10000 de conseils au MJ et 20000 pour les deux scénarios. Mais ce n’est qu’un exemple, selon votre jeu, la répartition peut grandement varier. C’est aussi une belle occasion pour faire la mindmap de votre jeu…

Maintenant on peut dire que vous êtes prêt? Non, pas encore… réfléchissez encore un instant à la façon dont vous allez présenter les choses. J’ai reçu d’excellents commentaires sur ma présentation du contexte de Shame: une présentation powerpoint réalisée par le CEO de la boîte. J’avais d’abord écrit trois pages de texte, pour me rendre compte ensuite que c’était chiant comme la mort. Shame, Inc est une société privée. Comment font les sociétés pour présenter leurs services? Une présentation powerpoint pardi! Ça n’avait d’ailleurs que des avantages, puisque j’économisais par la même occasion énormément de signes. Et comment a-t-on souvent les premiers échos des services d’une société? Dans la presse! Hop, j’ai créé 4 faux articles de presse mentionnant des faits divers qui pouvaient être reliés aux activités des agents de Shame (sans les nommer).

Cette solution ne s’applique pas à tous les jeux, mais réfléchissez à comment vous pouvez présenter les choses de manière efficace et originale, vous ne pourrez que marquer les esprits de vos lecteurs. On peut penser à quelques planches de BD (il vous faut ce talent évidemment), une suite d’articles de presse (revoyez les premières pages d’Orpheus), un discours, un journal intime, etc.

Maintenant, vous êtes prêts.

Enfin, sauf si vous êtes comme moi… Je ne peux pas écrire un document sans un minimum de présentation. Avant d’écrire, je cherche donc la police de caractère adéquate pour le texte et les titres, je fais des essais de mise en page (paysage, portrait, colonnes?) et je crée mes styles dans Word. Bon, ça, c’est du pur tic perso, certains préfèrent écrire tout en texte brut et mettre en page par après, ça marche aussi.

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Bon, ça devient super long, là… La suite dans quelques jours, dans l’épisode II, où je continuerai les conseils et où je parlerai un peu du déroulement du concours en lui-même. Ciao!


7 responses to “Comment j’ai remporté les Démiurges (1/2)

  • Dwarfy29

    Joli article. Est-ce dans la 2e partie que tu exposes les différentes façons de soudoyer le jury ? ;D

  • Rappar

    J’ai été juré à DeH et, mec, si tu n’as pas lu ma feuille de notation, tu commets une grosse erreur! 😉

    Tu aurais pu gagner 4 points de plus en expliquant dans ton pitch (la note d’intention) comment tu en étais venu à l’idée de la société qui est payée pour ruiner la réputation. En effet, un autre juré s’est demandé si tu n’avais pas préparé le jeu en avance, puis adapté au sujet, 😉 alors que moi j’ai vraiment considéré que la diffamation était totalement dans le sujet « mots = poignards »

    Tu as commencé ton jeu par des considérations de forme ? (powerpoint, etc.?) 8) C’est marrant que tu commences tes conseils par là… Effectivement, tu as fait carton plein sur ce point, mais la genèse du système (là aussi dans le mille) et de l’approche générale de la façon de jouer, ça vient quand? 8) Est-ce que « ce jeu se joue en mode bac-à-sable » ça se décide en amont, ou bien c’est une excuse parce que on ne peut pas tout expliquer?

    Voilà des questions auxquelles j’espère que la suite répondra. 🙂

    • Etienne Goos

      Bien sûr que j’ai lu toutes les feuilles de notation. Elles serviront d’ailleurs de base pour le développement du jeu.

      Je vais me pencher sur toutes ces questions et y répondre dans l’article suivant. Avec tout ça, il se pourrait bien qu’il devienne une trilogie…
      Je confirme déjà que le jeu a bien été totalement créé pour le concours. Pas une seule des idées de Shame, Inc. n’est du recyclage d’un autre projet. La force d’un thème imposé. De la contrainte naissent les idées.

  • erwik

    Bravo !
    Perso moi on ne m’y reprendra plus, trop trop de boulot que de produire un jeu en un temps aussi court, j’ai malheureusement une vie, ce n’est donc pas pour moi lol

    • Etienne Goos

      Tout le monde a une vie, non? 🙂 Le Doc, dans un autre article, disait que les démiurges était un concours pour auteur sans emploi, sans famille, sans autre loisir… Je suis la preuve vivante que le Doc peut se tromper (et rien que ça c’est dingue) puisque j’ai un boulot à temps plein, trois enfants, et d’autres choses à faire que d’écrire des jeux de rôle…
      Mais c’est clair que l’investissement en temps et énergie est balaize…

  • Jelino

    Très intéressant, je me réjouis de lire la suite.

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