Créer une campagne avec la méthode de la « cible »

Il n’y a pas si longtemps (en fait, si, ça fait tout de même deux ans), je vous présentais ici la méthode 5×5 de création de campagne. Aujourd’hui je vais évoquer une autre méthode qui vous permet de créer des scénarios et des campagnes non linéaires mais tout de même maîtrisées. Je l’ai baptisée « la cible », vous comprendrez pourquoi en découvrant les illustrations plus loin dans l’article. Le but de la méthode, comme de la 5X5, est de créer des campagnes qui ne soient ni des bacs à sable totalement libres, ni des enchaînements linéaires de chapitres. Elle laisse en effet une certaine liberté aux joueurs de choisir leur voie sans vous laisser les mains vides pour improviser selon leurs choix.

Un bon dessin valant mieux qu’un long discours, voici donc un exemple de cible.

Cible blog jeu de rôle

Comment ça marche ?

Chaque portion de disque (A1, B3, C2, etc.) est un scénario. Plus un scénario se situe vers le centre de la cible, plus il est important pour la résolution de la campagne. Il recèle plus d’intensité dramatique et les PJ y rencontrent des adversaires ou des mystères de plus en plus coriaces.

Les scénarios sont reliés entre eux de deux manières. Selon la lettre de leur cercle tout d’abord. Ainsi, le scénario A1 est relié aux scénarios A2 et A4, ce qui signifie qu’en jouant A1, les joueurs prendront connaissance d’accroches les conduisant aux scénarios A2 et A4. Les scénarios sont aussi reliés vers un ou plusieurs scénarios sur le cercle inférieur. A1 est ainsi relié à B1 et B4. Ça veut dire qu’à la fin de A1, les joueurs possèdent des indices qui les conduisent dans deux directions différentes.

Avancer vers un cercle plus intérieur, c’est progresser dans la résolution d’un arc narratif de la campagne. Chaque arc narratif possède son propre final (D1, D2, D3, D4), la combinaison de la résolution de ces quatre arcs permet d’atteindre le grand climax final de la campagne. Chaque scénario étant lié à plusieurs autres, les joueurs ont la possibilité de choisir leur route en déterminant quelle piste ou accroche ils veulent suivre en priorité. Ceci brise donc la linéarité de votre campagne.

Vous remarquerez que certains scénarios sont obligatoires, alors que d’autres sont totalement facultatifs. En effet, pour pouvoir jouer D1, il faut absolument jouer B1 et C1, qui sont donc des passages obligés. À l’inverse, C4 et C5 sont totalement facultatifs puisque d’autres chemins peuvent conduire à D4. Ces blocs facultatifs peuvent permettre d’insérer des scénarios sans aucun lien avec la campagne, ou bien de glisser des scénarios qu’il n’est pas obligatoire de jouer pour avancer dans un arc narratif mais qui permettent néanmoins d’obtenir des avantages pour la suite.

Le cercle A

À l’extérieur de la cible, les scénarios du cercle A sont les « portes d’entrée » dans la campagne, les premiers éléments d’un des arcs narratifs. On commence systématiquement la campagne par l’un d’entre eux. Une fois le premier résolu, les joueurs peuvent décider de creuser plus loin dans un arc narratif (et donc passer au cercle inférieur, de A3 à B2 par exemple) ou suivre une accroche vers un autre scénario du cercle A. Scénario qui pourra d’ailleurs leur apparaître sans aucun lien apparent avec le précédent, les joueurs ne se rendant compte qu’ils jouent une campagne cohérente qu’après plusieurs scénarios. Ainsi, après avoir joué A3 et A4 comme des scénarios indépendants, ils peuvent se rendre compte que dans les deux scénarios ils ont obtenu les mêmes indices les conduisant à un endroit important. Endroit qui est exploité dans le scénario B3.

les cercles B et C

Les scénarios B et C représentent des progrès dans les arcs narratifs. Pour les jouer, il faut avoir obtenu des indices dans un scénario du cercle supérieur. On ne passe pas de B2 à B1 si on n’a pas joué A2 ou A1 d’abord. Les adversaires rencontrés, les mystères à résoudre, les indices à trouver ont une importance croissante pour l’arc narratif, qui peut être résolu sur le cercle D.

le cercle D

Les scénarios du cercle D sont les conclusions des différents arcs narratifs. Pour les atteindre, il faut avoir résolu un scénario du cercle C qui y conduit. Une fois tous les scénarios D terminés, il est alors possible de passer au grand final de la campagne, à son climax.

Votre campagne pourrait donc se dérouler dans des ordres totalement différents selon les choix des joueurs. 2 exemples parmi d’autres:

CIBLE_exempleRougeCIBLE_exempleBleu

 

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Construire une campagne avec la cible

Je vous conseille de commencer par le centre. Déterminez l’objectif final de la campagne, et les passages obligés qui permettent de la réaliser (les scénarios D). En partant ensuite de chaque scénario D, déterminez les informations nécessaires, les victoires à obtenir pour pouvoir les jouer et placez-les dans des scénarios C et B. Enfin, en partant des scénarios B, déterminez des scénarios portes d’entrée à placer sur le cercle A. À ce stade, un synopsis de quelques lignes suffit pour chaque scénario. Ils doivent juste vous permettre de placer vos blocs et de les relier entre eux. Idéalement, certaines portes d’entrée doivent permettre d’atteindre plusieurs scénarios B, et un même scénario B peut permettre d’atteindre plusieurs scénarios C, ainsi de suite. L’idée est de permettre aux joueurs de bifurquer en cours de campagne. Si vous restez sur le schéma A1->B1->C1->D1, A2->B2->C2->D2, etc.  l’outil, qui vise à briser la linéarité, est inutile.

Une fois vos synopsis créés et placés sur la cible, vous pouvez développer les portes d’entrée, en vous concentrant sur celle que vous pensez jouer en premier. Ensuite, vous pourrez préparer vos scénarios selon les choix des joueurs. Pensez à en avoir un ou deux d’avance afin de pouvoir anticiper. Au pire, si vos joueurs bifurquent brusquement vers un scénario que vous n’avez pas préparé, vous avez toujours vos synopsis pour improviser.

Options, variantes

La beauté de la cible est qu’elle peut être utilisée autrement, et modifiée à l’envi.

  • On peut considérer le cercle D comme un cercle comme les autres. Chaque scénario D comprend donc toute l’information nécessaire pour atteindre le climax. En jouer un seul suffit pour atteindre le grand final. Cela peut laisser des arcs narratifs non résolus qui pourront être joués plus tard ou simplement abandonnés.
  • Plutôt que de proposer les portes d’entrée aux joueurs selon le choix du MJ, on peut jouer d’abord une introduction dans laquelle les joueurs reçoivent plusieurs pistes. C’est eux, ensuite, qui choisiront leur « porte d’entrée » (scénario A) dans la campagne.
  • On peut bien sûr réduire ou augmenter le nombre de cercles, et le nombre de blocs par cercle. La cible fonctionne déjà avec un climax et deux cercles autour de lui.
  • La cible fonctionne aussi pour créer des scénarios. Chaque case est une scène, une rencontre, au lieu d’être un scénario complet. Le cercle D représente des objectifs à atteindre pour résoudre le scénario. Imaginez l’attaque d’une citadelle. Le climax, c’est le combat contre le grand méchant au sommet du donjon. Le cercle D ce sont les informations nécessaires pour atteindre le méchant (emplacement de sa retraite, clef du piège, mot de passe, etc.), les cercles B et C sont des pièces du château que les PJ doivent explorer pour recueillir des indices, des avantages (existence du piège ou du mot de passe, découvrir le point faible du méchant, découvrir une armurerie, vaincre son second pour éviter que la rencontre finale soit trop difficile), et le cercle A représente différents moyens de pénétrer dans l’enceinte de la forteresse (les égouts, le toit, la porte d’entrée, etc.) Ça marche aussi avec des enquêtes ou chaque bloc permet de recueillir un indice et d’avancer dans la résolution d’un pan du mystère (cercle D). Une fois tous les indices D recueillis, le puzzle est complet et les PJ comprennent le fin mot de l’histoire (le climax).
L’exemple sans doute nécessaire

Pour éviter que l’exemple ne fasse 17 pages, nous utiliserons une cible assez simple, que voici:

Blog jeu de rôle

Les 4 arcs narratifs

Vous remarquez quatre cases sur le cercle D. Puisque vous avez tout compris à ce qui précède, vous savez qu’il y a 4 arcs narratifs à notre campagne. Ce n’est que quand ces 4 arcs seront conclus que les PJ pourront vivre le climax de la campagne. Les 4 arcs narratifs:

  • Démanteler le culte d’une ancienne divinité
  • Apprendre le rituel permettant d’éviter que cette divinité ne s’immisce dans notre réalité
  • Découvrir la drogue qui a rendu la femme d’un ami dépendante
  • Comprendre comment combattre des créatures de cauchemar
Le cercle A

Nos portes d’entrée peuvent être jouées dans n’importe quel ordre. Elles sont chacune liées à un ou deux arcs narratifs.

A1 – Des gens disparaissent mystérieusement. Les PJ enquêtent et découvrent un adorateur d’une ancienne divinité qui envoie les disparus dans le monde des rêves. Une fois l’adorateur vaincu, les PJ le forcent à ramener les victimes. Le sorcier leur apprend que les astres sont propices au retour d’une entité nommée Shub-Thulhu-Tothep. Ils découvrent également que l’adorateur n’est pas seul et qu’il se rendait souvent à Kuala Lumpur.

A2 – Un ami des PJ les appelle à l’aide. Sa femme est devenue dépendante à une nouvelle drogue lors d’un voyage en Asie. Pendant leur enquête, ils découvrent que la victime s’était rendue en Malaisie, et que depuis, elle dort presque sans arrêt et semble rêver en permanence. En fait une créature de cauchemar s’est insinuée dans l’esprit de la femme affaiblie par la drogue. Les PJ combattent la créature et la mettent en fuite, ce qui réveille la victime.

A3 – Les PJ sont parmi les victimes des tremblements de terre étranges qui secouent l’Angleterre. Le scénario débute par une course à la survie et au sauvetage du plus grand nombre de gens possibles. L’enquête qui suit les conduit à un hôpital psychiatrique où tous les malades ont prophétisé les séismes inexplicables. Plusieurs évoquent un mystérieux Shub-Thulhu-Tothep. Les PJ doivent se rendre en France auprès d’un psychiatre d’avant-garde afin de récupérer une drogue capable d’empêcher les gens de rêver. Une fois que les malades ne rêvent plus, les séismes cessent.

Le cercle D

D1 – Les PJ se rendent à Kuala Lumpur pour investiguer sur le mystérieux culte découvert en A1. Ils découvrent qu’il y a un lien possible entre la réalité hors du temps et de l’espace d’où vient Shub-Thulhu-Tothep et notre univers. Ce lien est dans le monde des rêves. Ils parviennent à démanteler une partie du culte, non sans avoir découvert que l’arrivée de Shub-Thulhu-Tothep est pour très bientôt.

D2 – Les PJ se rendent à Kuala Lumpur, soit pour pousser leurs investigations sur le culte mystérieux, ou pour comprendre ce qui est arrivé à la femme de leur ami. Voire même les 2 si A1 et A2 ont déjà été joués. Les PJ découvrent que la drogue est liée au culte et que les adorateurs de Shub-Thulhu-Tothep l’utilisent pour pénétrer le monde des rêves.

D3 – En interrogeant les malades de l’hôpital anglais, et d’autres aux quatre coins du monde, les PJ découvrent l’existence de monstres de cauchemar, protecteurs de Shub-Thulhu-Tothep. Ces créatures sont en fait semblables à celles qui ont attaqué la femme de leur ami dans A2. Certaines créatures s’incarnent dans notre réalité. Les PJ en combattent plusieurs et finissent par en capturer un. L’étudier permet de comprendre que le monstre ne peut être détruit qu’en capturant des rêves d’espoir dans le monde des rêves et en les utilisant comme arme.

D4 – Shub-Thulhu-Tothep. Enquêter sur cette chose paraît indispensable après le scénario A3. D’ouvrages oubliés en sectes sanguinaires, les PJ découvrent un réseau important de cultes dédiés à l’ancien dieu. Au final, tout est clair: Shub-Thulhu-Tothep veut pénétrer dans notre réalité et dévorer les rêves de l’humanité afin de l’asservir totalement à sa cause. Ils découvrent même le rituel à utiliser pour empêcher la catastrophe.

Le climax

À la date découverte dans D1, les PJ pénètrent dans les contrées du rêve grâce au rituel et à la drogue découverts dans D2. Avant de combattre Shub-Thulhu-Tothep, ils partent à la recherche de rêves d’espoir (D3) afin de se protéger des monstres de cauchemar. Ensuite, ils réalisent le rituel impie (découvert en D4) qui évite que Shub-Thulhu-Tothep ne pénètre dans notre réalité et asservisse l’humanité.

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Alors, que pensez-vous de cette méthode? Utile? Intéressante? Utilisez-vous quelque chose de similaire? Dites-nous tout dans vos commentaires !


7 responses to “Créer une campagne avec la méthode de la « cible »

  • Windazfell

    Bonjour,
    Comment avez-vous créé les cibles ? Un logiciel en particulier qui permet de réaliser ce genre de forme facilement et rapidement ?
    Merci

  • Créer partie JDR | Pearltrees

    […] est tout simplement Mind Manager (Freemind doit aussi très bien faire l’affaire). Créer une campagne avec la méthode de la « cible  | «L'art de la table. Il n’y a pas si longtemps (en fait, si, ça fait tout de même deux ans), je vous présentais […]

  • lhommealenvers

    C’est quand même très axé investigation ou quête avec objets magiques à unifier pour débloquer un truc ultime… Donc un peu dirigiste, non ? Que se passe-t-il si les joueurs du scénario A1 ne trouvent pas l’indice menant à la suite ?

    • Etienne Goos

      Il ne s’agit pas d’enlever toute linéarité comme avec des outils comme les fronts d’Apocalypse World. Les scénarios restent au format classique. Mais ils contiennent en plus des accroches pour amener les persos vers d’autres scénarios. Le but de la cible est de pouvoir jouer les différents scénarios d’une campagne dans des ordres différents. Pas de passer en bas à sable ou « customer-centered » complet.

  • Pierre Vanhulst

    Je suis actuellement en train de rédiger un gros scénario / mini-campagne pour Star Wars en me basant sur la structure des scénarios Gumshoe (Trail of Cthulhu, donc plutôt enquête). Chaque scène a une entrée et des indices majeurs qui débouchent sur une ou plusieurs autres scènes. On peut tout ça par une sorte de graph dont les branches finissent par se rejoindre vers une ou plusieurs fin(s).

    L’avantage de la méthode que tu décris, c’est qu’elle encourage les MJs à laisser les joueurs de tourner dans la périphérie du scénario principal. C’est particulièrement intéressant pour les enquêtes et leurs pistes secondaires à explorer, du coup je vais sans doute m’en inspirer pour créer des chapitres supplémentaires.
    Comme ça, je vois deux inconvénients à cette représentation :
    – Les groupes très directs pourraient zapper un contenu important du scénario si le MJ ne les incite pas à tester des pistes secondaires.
    – Dans un scénario au long cours, des étapes obligatoires et scénaristiquement intenses peuvent être nécessaires. On pourrait représenter ça par des cercles composés d’une seule zone, ceci dit.

    En tous cas, merci d’avoir partagé cette méthode !

    • Etienne Goos

      C’est vrai que certains groupes préféreront foncer droit devant en zappant certaines parties, mais il est possible de construire la campagne de manière à obliger les joueurs à bifurquer, s’il n’ont pas de piste ou d’indice conduisant plus avant dans la cible, ils sont obligés de passer à un scénario du même niveau ou même s’éloigner du centre du cercle.

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