Les personnages de jeu de rôle sont souvent très occupés. Ils doivent sauver la princesse, retrouver le coupable, empêcher l’avènement de Nyarlatoshigurrath, détruire l’arme secrète de l’empire ou sauver leur communauté menacée par une horde de fourmis carnivores. Alors vous pensez bien, leur vie personnelle, ils n’ont pas le temps de s’en soucier. Pourtant regardez les (bons) films et les (bonnes) séries télévisées. Les personnages y ont presque toujours une vie à côté de leur job de héros, une vie qui va les rendre intéressants, attachants, bref, vivants. Alors pourquoi les personnages de jeu de rôle ne bénéficieraient pas du même traitement ? Qu’on appelle ça « l’histoire B » ou plus pompeusement les « arcs narratifs de personnage », voyons ce que ça peut apporter, et comment les exploiter…
C’est quoi un arc de personnage ?
Il s’agit d’un arc narratif (une histoire avec son début, son milieu et sa fin) qui se superpose aux autres arcs de la campagne. La différence c’est qu’il concerne l’histoire d’un personnage en particulier. Puisque Star Wars revient à la mode, l’arc narratif de Luke Skywalker est de devenir un Jedi pour finir par ramener son père du côté lumineux. Cet arc se superpose à celui de la saga qui raconte la guerre entre l’empire galactique et l’alliance rebelle. Enlevez cet arc de personnage, et Star Wars devient rapidement beaucoup moins intéressant…
Pourquoi s’embarrasser d’une histoire B ?
Parce qu’elle va rendre votre histoire A meilleure. Une bonne histoire, ce sont de bons personnages. Si tout le monde autour de la table se passionne pour les vies riches et complexes des personnages, l’implication n’en sera que plus grande. L’histoire va rendre vos personnages plus réels, plus vraisemblables, et donc plus passionnants. Ils vont devenir un élément central de la campagne et non pas les héros qui, certes, sauvent le monde, mais qui sont interchangeables avec d’autres héros qui sauvent le monde.
Parce qu’elle va multiplier l’implication des joueurs. De quoi un joueur se souviendra-t-il un an après la fin de la campagne ? Le jour où un PNJ lambda a révélé le grand plan cosmique du grand méchant, ou le jour où, poursuivi par un beau-père enragé armé d’un shotgun il a sorti sa mère de l’enfer où elle vivait depuis des années ? La seconde situation n’apporte rien à la résolution de la trame de la campagne, mais reste un moment bien plus mémorable. Quand un joueur vit des situations qui touchent son personnage personnellement, vous découvrirez qu’ils sera soudainement doublement attentif, et que les chips posés devant lui perdront tout attrait.
Parce qu’elle crée du conflit (et que le conflit, c’est bien). L’histoire B peut provoquer des dilemmes : rejoindre mes compagnons dans leur enquête sur un culte maléfique ou répondre à l’appel à l’aide de mon petit frère pris à parti par des racketteurs ? Les conflits étant la base même des bonnes histoires, vous n’en aurez jamais assez dans vos parties. Vos joueurs vous remercieront, de nouveau parce que les conflits et les dilemmes sont des éléments très marquants dont ils se souviendront longtemps.
Comment mettre en place une histoire B
Il y a de nombreuses manières. En voici trois différentes qui vous donneront du grain à moudre pour imaginer la meilleure façon d’intégrer les arcs de personnage dans votre campagne.
1. Le background des personnages. Vous avez peut-être des joueurs qui vous écrivent quelques lignes / paragraphes / pages à propos de leur personnage avant le début de la campagne. Dans ce cas, tous les éléments nécessaires se trouvent dans ce texte. Le joueur y parle peut-être des relations de son personnage, de sa famille, de ses amis. Puisez dans ce matériel et mettez en place une histoire qui utilise ces éléments. Après tout, si le joueur a pris la peine d’y réfléchir et de mettre tout ça sur papier, c’est qu’il tient à ce que ce soit utilisé en jeu. Dans le cas contraire, c’est juste du blabla… Si vous avez une table hétérogène composée en partie d’écrivains en herbe amoureux de leur personnage et d’autres moins enclins à vous pondre un background, n’oubliez pas de rester juste. Votre campagne ne doit pas tourner autour de certains persos parce qu’ils ont été dotés d’un background. Ce serait injuste parce qu’écrire ce background ne rend pas le joueur meilleur que les autres, et que chacun mérite d’être sous les projecteurs, qu’il se soit senti l’envie de vous parler longuement des 28 premières années de son druide niveau 1 ou pas.
2. La méthode COPS. Souvenez-vous. Dans COPS, les auteurs avaient pris la peine de détailler le commissariat, la hiérarchie et les collègues des PJ. Chaque supplément comprenait quelques pages de saynètes se déroulant près du distributeur de café. Ces dialogues entre flics faisaient évoluer la vie du commissariat. Certains COPS mourraient, d’autres étaient des ripoux, etc. Le jeu vous donnait donc tous le matos nécessaire pour jouer une histoire B. Il suffisait de lier les PJ aux collègues qui apparaissaient dans ces rubriques « LAPD Blues », et le tour était joué. Vous pouvez reprendre cette méthode pour n’importe quel jeu. Il vous faudra simplement remplacer les auteurs de COPS par votre propre imagination. Créez une poignée de PNJ, donnez-leurs quelques problèmes, et liez-les aux PJ. Ne développez ensuite que les relations auxquelles accrochent les joueurs. Et le tour est joué.
3. La méthode FATE. FATE inscrit littéralement l’histoire B dans son système. Certains types d’aspects sont réellement là pour ça : créer des relations à vos PJ. Certains créent des relations entre les différents personnages, ce qui donne déjà de la matière pour une histoire B. Mais d’autres aspects lient les personnages à des PNJ ou des organisations. Des relations qui sont, bien entendu, porteuses des germes de leur propre conflit. En plus de pouvoir utiliser ces aspects pour construire une histoire B, ils entreront en jeu au niveau des règles puisque vous pourrez contraindre ces aspects. Avec un aspect tel que « je dois tout au Capitaine Slayne », vous n’aurez qu’à contraindre l’aspect et faire que ce bon vieux Slayne appelle le PJ pour qu’il soit obligé de voler à son secours sous peine de perdre un point FATE. D’autres jeux incluent l’histoire B dans leur système. Je pense à Tenga. Avec ses concepts de révolte, ambition, karma, privilèges et revers, tous les matériel est là, directement à disposition sur la feuille des personnages. Pourquoi hésiter à se servir ?
Derniers mots
Bien sûr, l’histoire B n’est utile que dans un jeu en campagne. Pour des scénarios one-shot ou de quelques parties, mieux vaut uniquement se focaliser sur l’intrigue principale, le temps manquant pour digresser vers des histoires personnelles. Certains joueurs pourraient aussi être réfractaires à l’idée. Si le but de vos soirées est l’action débridée, le pulp ou le dungeon crawling, inutile de vous embarrasser d’une histoire B. Mais si vous êtes prêts à jouer sur le long terme, n’hésitez pas à glisser des histoires personnelles. Ça rendra les personnages, souvent si stéréotypés et monomaniaques, plus intéressants, plus passionnants, plus humains…
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Et vous, vous utilisez une histoire B dans votre campagne ? En tant que joueur vous avez été marqué par une histoire B ? Dites-nous tout !